Patricia Lefèvre, architecte-paysagiste, co-fondatrice du Groupe de réflexion et d’action sur le paysage et le patrimoine (GRAPP), auteure du guide « Habiter la campagne… sans la détruire » et ancienne conseillère municipale d’Abercorn. :

"Il était une fois une ville où les allégations de corruption volaient bas. Les promoteurs de tous poils y faisaient des affaires en béton, avec le support de gouvernements prêts à investir gaillardement l’argent des contribuables dans de folles aventures immobilières. Seul grain de sable dans l’engrenage, un dangereux virus avait réussi à faire dérailler plusieurs projets promis aux plus belles espérances. Le NIMBY (Not In My BackYard), qui pouvait transformer la plus raisonnable grand-mère en activiste belliqueuse, donnait bien du souci aux promoteurs et à leurs amis. Plusieurs citoyens avaient en effet réalisé qu’ils étaient capables, par voie de référendum, de décider ce qui se construirait ou pas dans leur voisinage. De référendum en référendum, ils avaient clairement démontré leur égoisme et leur totale absence de sens des responsabilités. Tout ce qui les intéressait, c’était leur petit jardin ou leur petit quartier tranquille, sans aucune considération pour les bienfaits du développement... Le pouvoir citoyen était donc devenu un sérieux obstacle au progrès.

Ce pouvoir provenait d’une loi écrite par un gouvernement révolu qui, dans sa grande naiveté, avait laissé au peuple le droit de décider, sans intermédiaire, du type d’habitat dans lequel il souhaitait vivre. Comme si les citoyens étaient capables de comprendre les enjeux de leur époque et de décider comment y répondre! Comme si leurs élus, et leurs experts, n’étaient pas les mieux placés pour s’occuper de leurs affaires…Il était plus que temps de laisser les décideurs décider en paix. Ça tombait bien, le développement durable passait par là. Sur les conseils avisés du milieu de l’immobilier, la loi a donc été réécrite de façon à assurer le développement optimal de cette industrie. Réservant le référendum aux chicanes de voisinage, elle permettrait dorénavent d’affranchir les secteurs stratégiques d’une ville ou d’un village de toute obligation d’approbation référendaire. Quand on parlerait de choses sérieuses, les citoyens conserveraient le droit de « chialer » (en consultation publique), mais plus celui de décider (en référendum). En dehors des secteurs stratégiques, on laisserait les citoyens jouer au référendum, mais juste sur les points vraiment importants pour eux, comme les usages ou la hauteur des bâtiments. Pas sur les densités, une considération technique qui, de toute évidence, ne concernait que les décideurs –et leurs amis-.

Une fois les citoyens muselés, il restait un dernier irritant potentiel : les conseillers de l’opposition, qui comme chacun sait, sont juste là pour empêcher les choses d’avancer. En remettant leur pouvoir entre les membres d’un comité décisionnel en urbanisme composé de seulement trois « bons » membres du conseil, on limiterait sérieusement le pouvoir de nuisance des opposants, puisqu’ils ne seraient plus au courant du détail des dossiers. Et en plus, les simples citoyens auraient à faire deux fois plus d’efforts pour se tenir au courant de ce qui se passait chez eux…

Ceci n’est pas une histoire de peur! C’est ce que vous trouverez textuellement dans l’avant-projet de loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme (LADTU), qui fait tellement consensus dans les milieux municipaux (urbanistes inclus) que tout ce beau monde garde un silence pudique sur des dispositions qui, sous couvert de participation citoyenne, retirent aux citoyens le peu de pouvoir dont ils disposaient face au puissant lobby de la construction! Pour mieux comprendre pourquoi, on ne peut que recommander la lecture du très instructif mémoire déposé par ce lobby (IDU, ou Institut de développement urbain du Québec) en amont de la rédaction de la loi.
"

Pour éviter une totale dictature entre deux élections, les citoyens qui auraient envie de garder un minimum de contrôle sur leur environnement peuvent déposer des mémoires ou demander à être entendus en commission parlementaire à l'Assemblée Nationale. La date limite pour ces élections est déjà passée, mais vous pourrez toujours vous exprimer sur l'avenir de votre quartier lors du prochain référendum.




ANNEXE : Articles extraits de l’avant-projet de loi sur l’Aménagement durable du territoire et l’urbanisme

82. Le plan d’urbanisme peut délimiter toute partie de son territoire qu’il
juge devoir prioritairement faire l’objet de rénovation urbaine, de réhabilitation
ou de densification, qu’il définit en tant que zone franche d’approbation
référendaire et à l’intérieur de laquelle aucune modification réglementaire ne
sera sujette à l’approbation référendaire.
Il définit des objectifs, stratégies et cibles spécifiques à cette fin.
PAS DE RÉFÉRENDUM SUR LES ZONES FRANCHES

205. Malgré l’article 204, n’est pas sujette à l’approbation référendaire :
1° toute disposition en tant qu’elle est applicable à une zone franche
d’approbation référendaire délimitée conformément à l’article 82;
2° toute disposition adoptée dans le but d’assurer la sécurité publique, la
santé publique ou la protection de l’environnement.
PLUS DE RÉFÉRENDUM DANS LES ZONES FRANCHES

§2. — Comité décisionnel
109. Le conseil d’une municipalité locale peut, par règlement, instituer un comité décisionnel d’urbanisme. Toutefois, la constitution d’un comité décisionnel d’urbanisme par un conseil d’arrondissement n’est pas permise lorsque ce conseil d’arrondissement est composé de moins de sept membres.
110. Le comité décisionnel d’urbanisme est composé de trois membres du conseil.
111. Les séances du comité sont publiques.
112. Le comité exerce, parmi les pouvoirs discrétionnaires de portée individuelle prévus à la section III, ceux qui lui sont délégués par règlement du conseil.
Toutefois, la délégation prévue au premier alinéa est sans effet quant à une question :
1° lorsque la demande émane d’un membre du comité;
2° lorsqu’un membre du comité est dans l’obligation de divulguer son intérêt dans la question conformément à l’article 361 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q., chapitre E-2.2).
MOINS DE TRANSPARENCE

TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ADOPTION ET À L’ENTRÉE EN VIGUEUR
DES RÈGLEMENTS D’URBANISME D’UNE MUNICIPALITÉ LOCALE
204. Pour l’application des dispositions du présent titre, est sujette à l’approbation référendaire toute disposition qui, une fois en vigueur, aurait pour effet de modifier, dans un lieu donné :
1° la liste des usages autorisés, y compris les usages conditionnels;
2° une norme relative à la dimension, au volume ou au type des bâtiments autorisés.
Est également sujette à l’approbation référendaire toute disposition, adoptée en vertu de l’article 129, prévoyant, à titre incitatif, une norme de remplacement à l’égard de l’un des objets visés au paragraphe 2° du premier alinéa.
PLUS AUCUNE POSSIBILITÉ DE RÉFÉRENDUM SUR LES DENSITÉS