Marie-Claude Hamelin et Yichao Chen ont étudié en Génie du  Bâtiment à l’Université Concordia. Pour Écohabitation, Marie-Claude a décidé d’interviewer Yichao sur le sujet de sa thèse. Merci à toutes les deux pour cette entrevue passionnante!

Écohabitation :  - Le sujet de ta thèse, c’est « L’évaluation de la performance des critères de conception pour les panneaux intégrés photovoltaïques thermiques, et leur intégration aux bâtiments nordiques ». C’est un peu long et compliqué comme titre, alors que sont exactement les panneaux intégrés photovoltaïques thermiques (ou panneaux IPVT)?

Yichao Chen : - Ce sont des panneaux qui exploitent l’énergie solaire pour en faire à la fois de l’électricité et de la chaleur utilisable pour le chauffage des bâtiments. Les panneaux photovoltaïques convertissent 15 à 20% du rayonnement solaire en électricité, et le reste de l’énergie solaire est perdue sous forme de chaleur. Les systèmes photovoltaïques thermiques visent donc à récupérer cette énergie; dans les pays où les besoins en chauffage pour les bâtiments sont grands (comme le Canada!), c’est logique d’utiliser la chaleur dégagée par la surface foncée des panneaux photovoltaïques pour réduire les coûts de chauffage. Pour ce faire, on fait passer un flot d’air sous le panneau photovoltaïque, qui devient très chaud lorsqu’il fait soleil, et on amène l’air préchauffé dans la maison. En exploitant à la fois l’électricité et la chaleur, on peut atteindre des taux de conversion de l’énergie solaire de plus de 50%. Lorsque l’on dit que les panneaux sont « intégrés », cela veut dire qu’ils sont installés à même le mur ou le toit d’un édifice : on économise donc sur le revêtement extérieur du mur!

Écohabitation : - Est-ce que c’est une technologie commune? Est-ce qu’il y a beaucoup de panneaux installés ailleurs dans le monde?

Yichao Chen : - Il y en a quelques-uns, mais ce sont des nouveaux systèmes. On en trouve au nord de l’Europe, qui utilisent en général un écoulement d’eau pour capter la chaleur derrière les panneaux photovoltaïques. Ce sont des systèmes à haute efficacité, qui peuvent être utilisés pour chauffer l’eau chaude domestique par exemple. Au Canada, on privilégie les systèmes moins coûteux, car le faible coût de l’énergie chez nous décourage les investissements importants... Ici, les systèmes PVT fonctionnent habituellement à l’air. Cela permet de réduire la maintenance, ce qui est aussi plus intéressant pour le propriétaire de la maison.

Écohabitation :  - Peut-on se procurer des systèmes photovoltaïques thermiques en magasin?

Yichao Chen : - Pour le moment, il est seulement possible d’acheter des panneaux photovoltaïques et des chauffe-air solaires séparément. Il est assez simple de les assembler soi-même, mais chaque système doit être fait sur mesure.

Écohabitation :  Pourquoi as-tu choisi d’étudier spécifiquement les systèmes PVT pour le Grand Nord?

© Yichao Chen (2012). Thèse de maîtrise en sciences appliquées, Concordia Univer
À gauche, un système photovoltaïque thermique construit et testé par Yichao dans le cadre de sa recherche de maîtrise. À droite, une version schématique du même système. © Yichao Chen (2012). Thèse de maîtrise en sciences appliquées, Concordia University. Montage Jean-François Méthé, Écohabitation.

Les deux panneaux photovoltaïques (bleutés) sont placés devant un « absorbeur », c'est-à-dire une plaque de métal noire perforée qui contribue également à réchauffer l’air. L’air circule entre les panneaux photovoltaïques et l’absorbeur, puis passe à travers les trous de l’absorbeur, aspiré par un ventilateur placé au-dessus de cet assemblage. L’air est ensuite envoyé vers les pièces à chauffer. Le vitrage en polycarbonate entre les panneaux photovoltaïques réduit les pertes de chaleur vers l’air extérieur.

© Yichao Chen (2012). Thèse de maîtrise en sciences appliquées, Concordia University. Montage Jean-François Méthé, Écohabitation.

 

Yichao Chen : - Il y a beaucoup de défis pour l’utilisation des systèmes PVT dans le Grand Nord. Les conditions climatiques sont extrêmes, alors il faut concevoir des systèmes robustes. Il y a aussi tout l’aspect social : l’importante pénurie de logement et le manque de main d’œuvre qualifiée pour la maintenance des équipements nous obligent à penser différemment pour s’assurer que les systèmes pourront subvenir aux besoins en énergie à relativement long terme. Finalement, l’énergie solaire a un grand potentiel dans le grand Nord parce que les besoins en énergie sont très grands, alors que le coût de l’électricité et des combustibles fossiles est extrêmement élevé (environ 10 fois plus que dans le sud du Québec). Dans ces circonstances, le retour sur investissement est plutôt rapide.

D’un point de vue environnemental, les gains sont aussi importants. Dans ces communautés éloignées, l’électricité est généralement produite avec des génératrices au gaz ou au diesel, et ces combustibles doivent être transportés sur une distance très importante, ce qui augmente d’autant plus leur empreinte carbone. En produisant de l’électricité et de la chaleur sur place, avec des ressources renouvelables, on fait d’une pierre deux coups.             

© Concordia University
Le simulateur solaire à l'université Concordia, examiné par le professeur Andreas Athienitis. Photo Concordia University

Écohabitation :  - Comment les conditions nordiques influencent la conception du système et de la maison? Est-ce très différent de ce que l’on utiliserait au sud du Québec?

Yichao Chen : - Il faut changer certaines choses, principalement l’angle d’inclinaison du panneau. C’est la « règle du pouce » : il faut que l’angle entre le panneau et l’horizontal soit égal à la latitude où il se trouve (donc 45° pour Montréal et 64° pour Iqualuit, par exemple). Aussi, les toits ont des pentes très peu prononcées, car un grenier est vu comme un espace chauffé inutilement. Il devient donc logique d’intégrer les panneaux PVT au mur de la maison qui fait face au Sud.

Écohabitation :  - Quels genres d’équipements et d’installations utilises-tu pour tes recherches dans le laboratoire sur l’énergie solaire à l’Université Concordia?

Yichao Chen : - J’ai eu la chance immense de pouvoir travailler avec nos tout nouveaux équipements : un simulateur solaire et une chambre environnementale!

Le simulateur solaire est constitué de lampes spéciales  qui reproduisent le spectre lumineux du soleil, alors que la chambre environnementale est une grande pièce dans laquelle on peut contrôler la température entre 50 et -40°C, en plus de produire du vent. On  les utilise entre autres pour étudier la performance de panneaux photovoltaïques ou solaires thermiques dans différentes conditions climatiques. Les conditions sont super contrôlées, alors nous pouvons les répéter à volonté, ce qui nous permet de valider nos modèles mathématiques. Dans mon cas, cela m’a permis d’obtenir des résultats expérimentaux en quelques mois, alors qu’il m’aurait fallu des années de mesure sur un prototype installé à l’extérieur!

Écohabitation :  - Cette technologie est-elle utilisable par les habitants du Grand Nord ?

Yichao Chen : - Grâce à mon expérience sur le terrain, au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, j’ai aussi compris que l’aspect humain est plus important que l’aspect technique. Il faut absolument que le système soit assez simple pour que les gens qui y habitent soient en mesure de le réparer et de l’entretenir eux-mêmes, parce que l’envoi d’un technicien sur place coûte 5000$, et ruine complètement les économies sur l’énergie qui ont été obtenues auparavant!

Écohabitation :  - Est-ce que tu crois que des systèmes similaires à ceux que tu as développés pourraient être installés sur des maisons dans le sud du Québec?

Yichao Chen : - Oui, certainement! Certaines compagnies proposent des systèmes PVT au Québec. Mais le faible coût de l’électricité est dissuasif : pour l’instant, faute de subventions, ce n’est pas rentable. Le retour sur investissement est plus intéressant dans le Nord.

 

La conclusion de Marie-Claude, amie et intervieweuse de Yichao :

"Le travail de Yichao à Concordia est un bel exemple de l’utilité de la recherche dans notre lutte contre la surconsommation énergétique. Nous espérons que l’efficacité démontrée de ces panneaux incitera les manufacturiers à les offrir rapidement sous la forme de systèmes prêts à l’installation!"