On s'attendait à parler de textures et de technique, mais il est question d’émotion. Quand on attrape au téléphone Alice Langevin-Eap, résidente du quartier Côte-des-Neiges à Montréal, Sylvie Plaire est justement en train d’enduire de chaux les murs de sa maison. Alice commente, admirative: "C’est émouvant de voir l’implication totale de Sylvie, alors que c’est quelque chose de très laborieux, de très exigeant physiquement. Elle est musclée, son hygiène de vie est irréprochable ; elle manie la truelle avec dextérité. On dirait qu’elle est faite pour ça !"

Alice a acheté tout le "pack Sylvie". Non seulement Sylvie Plaire est-elle en train d’enduire ou de peindre à la chaux tous les murs intérieurs de sa maison, mais elle isole aussi tout le bâtiment avec un mélange chaux-chanvre, aidée de son confrère Anthony Néron (DuChanvre). Cet amalgame renforce l’isolant en chanvre. Le revêtement de brique et la structure en carré de madriers ont été conservés, et les deux artisans y amalgament la chaux-chanvre, mine de rien. Adieu les murs vétustes qui ressemblent à des passoires et génèrent une facture de chauffage spectaculaire.

Mais ce n’est pas seulement une affaire d’efficacité énergétique et de santé. Alice, qui a passé quinze ans en France et voyagé en Afrique du Nord, réalise son rêve : « J’adore les matières naturelles, texturées, qui vieillissent bien. J’aime les fibres : le chanvre, le lin... Ça m’émeut. Au Québec, on ignore totalement cet artisanat de très grande qualité. Ce sont pourtant de très vieilles méthodes de construction, saines et durables, qui ont fait leur preuve. Avec ma maison en chaux et chanvre, on remonte à l’époque gallo-romaine ! »

© Photo Sylvie Plaire
© Photo Sylvie Plaire

Enduit, peinture, liant, mortier... La chaux, comment ça marche ? 

La chaux vient de la pierre calcaire (carbonate de calcium) extraite de carrières, puis cuite dans un four à 900° Celsius. Elle devient alors ce qu’on appelle de la chaux vive. Après hydratation, elle se transforme en poudre pour donner une chaux aérienne ou hydratée (appellation québécoise). On la mélange alors avec du sable, des pigments et de l’eau pour en faire un enduit aux nombreuses applications :

  • Peinture à la chaux : pour un fini mat, naturel et sans composés organiques volatils. Elle s'applique sans l'aide d'un professionnel. 
  • Enduits de chaux : pour la finition des murs intérieurs et extérieurs
  • Mortier, plus épais : pour recouvrir les murs 
  • Tadelakt : un enduit marocain composé de chaux et de poudre de marbre, hyperétanche, idéal pour les salles d’eau et salles de bains 
  • Stuc : enduit lisse et brillant, chatoyant, composé de chaux et de poudre de marbre
  • Mélangée au chanvre : elle sert de liant stabilisateur de ce matériau isolant 
  • Mélangée à l’argile : crépi très résistant pour les murs intérieurs et extérieurs.

Coût : selon le type d’interventions, le prix s’échelonne de 7 à 35 $ le pied carré. ( cette échelle de prix n'a pas été mise à jour depuis la rédaction de l'article)

La chaux québécoise

Alors, exotique, la chaux ? Venue de loin ? Véronique Cibert, autre cliente enthousiaste de Sylvie, connaît les hammams en Afrique du Nord et apprécie l’ambiance orientale qui se dégage des stucs et du tadelakt posés par Sylvie dans sa maison. "La chaux, ce n’est pas seulement la Méditerrannée, insiste pourtant Sylvie. C’est aussi dans notre patrimoine à nous ! Elle a eu sa place au Québec. Du temps de la Nouvelle-France, on fabriquait des mortiers à la chaux pour enduire les maisons en pierre. On chaulait les granges. À Beauport, il y avait 108 fours à chaux !"

© Photo Sylvie Plaire
Enduit de chaux sur les murs, peinture à la chaux sur les plafonds © Photo Sylvie Plaire

Et la voilà, vaillante, qui cherche à ranimer cette tradition en parcourant seule les routes du Québec avec sa chaux et ses auges, de Sherbrooke, où elle habite, à Maniwaki, où elle pose sur une maison isolée en ballots de paille des crépis chaux-argile, en passant par Cowansville, où elle a co-construit une vaste demeure toute blanche de chaux qui abrite une famille de sept enfants scolarisés à la maison... Seule, pas toujours, puisque le compère Anthony Néron, formé par le pionnier Gabriel Gauthier, d’Artcan, l’accompagne sur certains chantiers de grande ampleur.

Histoire d'une passion

D’où vient cette passion ? "Je suis arrivée de France il y a 22 ans, raconte Sylvie. J’étais infirmière de formation et je suis devenue massothérapeute. Je voulais construire ma propre maison écolo. Après un premier essai « semi-écolo » dans l’agglomération de Sherbrooke en 1997, avec des finitions conventionnelles genre peinture acrylique, j’ai eu envie d’autre chose. J’ai cherché. Je ne voulais plus de plâtres, de faux finis... On a vendu la maison et on en a construit une autre, isolée en ballots de paille, avec le spécialiste Michel Bergeron, cofondateur d’Archibio. Et là, tout a commencé."

© Photo Sylvie Plaire
Pigments pour un enduit chaux-argile © Photo Sylvie Plaire

Sylvie se met alors à effectuer des recherches sur les finis naturels. Elle débouche sur la chaux et l’argile et apprend par elle-même à les manier, avec les conseils de Michel Bergeron, puisque chaux et ballots de paille sont des amis intimes. Entre 2002 et 2003, sa belle maison toute blanche s’élève à Sainte-Catherine-de-Hatley, en Estrie. Mais surtout, elle s’appuie sur cette expérience pour quitter son métier de massothérapeute et devenir une artisane professionnelle. Depuis, son carnet de commandes est des plus garni.

Certains clients sont accros, tels Véronique et sa famille. Dans leur maison de Sherbrooke, les enduits intérieurs du sous-sol, des deux salles de bains et de deux chambres ont été successivement refaits en ayant recours à toute la palette des possibilités : enduit simple ou avec paillettes de lin, tadelakt de couleurs, stuc, mosaïque avec pâte de verre, peinture... Sans oublier les angles arrondis ! 

Un matériau idéal

Sylvie parle de la chaux comme d’une amie chère sur laquelle on peut compter en toutes circonstances. ll faut dire que le matériau est un modèle de polyvalence et incroyablement sain. La chaux capte puis rejette la vapeur d’eau, jouant ainsi un rôle hygrométrique. Elle est imperméable aux eaux de ruissellement et idéale contre les moisissures et l’humidité, notamment dans les sous-sols. Elle est bactéricide et antiseptique, de même qu’ignifuge (elle résiste très bien au feu). Sa résistance exceptionnelle lui confère une très grande durabilité, un avantage fondamental. Enfin, elle possède une vertu précieuse que Sylvie et ses clients décrivent avec enthousiasme : grâce à sa texture et à la possibilité d’y mêler des pigments ou de créer des coins de murs arrondis, elle apporte un supplément de douceur et de confort.

© Photo Sylvie Plaire
© Photo Sylvie Plaire

"La chaux a une belle profondeur, elle est enveloppante et capte très bien la lumière.Elle est chaleureuse sans être rustique", précise Sylvie. Bricoleurs, prudence : si la peinture à la chaux s'achète puis s'applique sans difficultés, la chaux pour les enduits est complexe à manier et peut décevoir si mal appliquée. Se former (auprès de Sylvie, par exemple) est un impératif si on veut tenter l’aventure.

« Les Québécois sont des patenteux, ils adorent tout faire eux-mêmes, sourit Sylvie. Mes formations, je les donne uniquement sur des chantiers, pour que les gens aient un contact concret et réel avec la pratique ».