Outre le défi relié au dérèglement du climat, une quantité importante de moyens est gaspillée chaque année aux quatre coins du globe pour abaisser la température de l'espace familial ou de travail, puisant typiquement l'énergie requise à même une ressource appelée à être épuisée tôt ou tard, et dont le coût d'utilisation, autant pour son achat que pour contrer ses effets sur la santé et les écosystèmes, croît rapidement année après année. De plus, si les populations des pays développés peuvent d'ores et déjà se permettre la climatisation de leur habitat, il en est autrement pour une fraction importante de l'humanité pour qui un milieu de vie agréable demeure un luxe inabordable.

Des toits blancs : pour un bénéfice économique et écologique

Une approche simple et relativement peu coûteuse pour faire face à la crise énergétique que nous commençons à entrevoir et aux changements climatiques qui lui sont intimement liés consisterait à améliorer l’efficacité énergétique des systèmes déjà en place partout à travers le monde. Une avenue particulièrement élémentaire qui a déjà été évoquée[i] serait de peindre en blanc la toiture des habitations de sorte qu’une partie importante de l’énergie solaire incidente soit réfléchie vers les cieux, sous forme de rayonnement visible.

Bien qu’il s’agisse d’une technique apparemment simpliste, ce serait, selon le secrétaire de l’énergie des États-Unis, M. Steven Chu, prix Nobel de physique, une option qui, appliquée aux toits et aux routes de la planète aurait le même impact que d’éliminer toutes les voitures du globe pendant 11 ans.[ii]

Il y aurait donc un certains nombres de bénéfices à tirer d’un point de vue individuel, local et global, de mettre en œuvre un projet planétaire pour rendre les toitures plus réfléchissantes :

  • pour les membres d’une maisonnée, cela se traduirait par un milieu de vie plus confortable et agréable tout en permettant une réduction de la facture d'énergie reliée à la climatisation;
  • au niveau local, cela devrait contribuer à réduire les ilots de chaleur et à abaisser la température ambiante en milieu urbain, réduction qui serait particulièrement appréciée même aux latitudes plus élevées avec les phénomènes de plus en plus fréquents de vagues de chaleurs; et
  • au niveau global, cela donnerait lieu, comme le suggérait M. Chu, à un albédo planétaire plus élevé et donc, une moins grande élévation de la chaleur du globe au cours d’un cycle diurne, de même qu’une réduction des émissions de GES dues à l’utilisation d’électricité de source fossile pour la climatisation.

Pourquoi de tels bénéfices ?

Principes thermiques de réchauffement sur une base diurne

La radiation solaire moyenne qui parvient au sol est atténuée substantiellement en passant à travers une bande atmosphérique plus ou moins importante. Cette atténuation varie selon l'élévation du soleil et les conditions météorologiques prévalentes. L’absorption et la dispersion par les particules en suspension dans l’atmosphère (ozone, vapeur d'eau, dioxyde de carbone, et autres) empêchent la transmission d’une partie de l’énergie solaire. Les nuages constituent un exemple courant de phénomène bloquant la radiation directe.

Lorsqu'un faisceau de rayonnement est incident à la surface d'un corps, une partie du faisceau est réfléchie, une partie est absorbée et une autre peut être transmise à travers le corps. La dépendance du rayonnement sur la longueur d'onde est responsable de l'effet de serre. En effet, une serre est chaude à l'intérieur même si l'extérieur est froid car le verre est transparent au spectre visible bien qu'il soit opaque à l'infrarouge thermique émis par l'intérieur de la serre. C'est aussi ce qui se passe à l'échelle de la planète, où le CO2 et autres gaz atmosphériques agissent comme le verre d'une serre. En particulier, plus une surface est réfléchissante, moins elle absorbe l'énergie du rayonnement.

L'apport en énergie à une surface soumise au rayonnement solaire altérera sa température jusqu'à ce que la surface éclairée soit en équilibre avec son environnement. Cet équilibre sera atteint par le biais de divers mécanismes de régulation : le rayonnement, la conduction et la convection.

Le rayonnement thermique

La radiation thermique est une forme d'émission et de transmission d'énergie qui ne dépend que de la température et des caractéristiques émissives de la surface, sans le moindre support de conduction.[iii]

En absence d'autres mécanismes de transfert de chaleur, une surface foncée éclairée par le soleil de midi serait excessivement chaude alors qu'une surface pâle serait relativement froide. Nous pouvons noter cependant qu'en diminuant le coefficient d'absorption d'une surface ou en augmentant son rayonnement, on arrive à réduire sa température de surface lorsque soumise aux mêmes conditions d’ensoleillement.

La conduction thermique

La conduction est le seul mode de transfert de chaleur dans un milieu solide opaque. Lorsqu'un gradient de température existe dans un tel milieu, une certaine quantité de chaleur sera transférée de la région la plus chaude vers la plus froide et le taux de transfert de chaleur par conduction est proportionnel au gradient de chaleur et à la surface par laquelle la chaleur est transmise.

La convection

Lorsqu'un fluide entre en contact avec un solide dont la température diffère, un échange d'énergie thermique a lieu; le processus qui entre en jeu est le transfert de chaleur par convection. Deux types de processus de convection peuvent avoir lieu : la convection naturelle ou libre et la convection forcée. Dans le premier cas, la différence de densité du fluide qui est en contact avec la surface du solide par rapport au fluide environnant agit pour créer un déplacement vertical sous l'effet de la poussée d'Archimède (l'air chaud étant moins dense que l'air froid, il flotte). Dans le second cas, la convection est provoquée par une circulation artificielle d'un fluide (e.g. le vent).

Évaluation de l'impact de peindre un toit en blanc

Tableau 1 : Énergie incidente vs réfléchie, selon le matériau et l’heure de la journée

t

(heures)

Énergie incidente

(W)

Béton

(W)

Peinture blanche au latex (W)

SUPER THERM®

(W)

8

816

326

653

785

9

1063

425

851

1023

10

1156

462

924

1112

11

1199

480

959

1153

12

1219

488

976

1173

13

1226

490

980

1179

14

1219

488

976

1173

15

1199

480

959

1153

16

1156

462

924

1112

17

1063

425

851

1023

18

816

326

653

785

On trouve au tableau 1 le flux d'énergie moyenne reçu par unité de surface (1 m2) sur un plan horizontal en fonction de l'heure du jour et nous comparerons cette énergie incidente à l'énergie réfléchie par la surface en fonction de la substance qui la recouvre : béton, latex ou une peinture réfléchissante spéciale (e. g. SUPER THERM®). Ces flux tiennent compte des trois mécanismes de régulation de température de la surface mentionnés à la section précédente. Nous pourrons ainsi évaluer l'impact global de l'application d'une mince couche de ce produit sur les toitures des maisons.

Si on fait la somme de chaque colonne, on aura essentiellement la quantité d'énergie (en W·h) réfléchie au cours d'une journée. C'est ce que montre le tableau 2 ci-dessous.

Note : Les calculs ont été effectués sur la base d'un soleil qui passe par le zénith au cours du cycle diurne, ce qui n'est strictement vrai que dans la zone tropicale. On peut cependant faire le même exercice pour des latitudes plus élevées. La bande tropicale est toutefois plus intéressante vu son ensoleillement abondant. 

Tableau 2 : Énergie incidente totale vs réfléchie, selon le matériau.

 

Énergie incidente

Béton

Peinture au latex

SUPER THERM®

Total (W·h)

12132

4852

9706

11671

Ainsi, une toiture en béton réfléchie 40% de l'énergie incidente, la peinture au latex 80% et la peinture SUPER THERM® 96,2%.

Il est essentiel de garder à l'esprit que le béton est un matériau ayant des propriétés réfléchissantes plus intéressantes que bien d'autres, l'asphalte par exemple, lequel absorbe jusqu'à 93% de l'énergie solaire incidente. Or, les meilleures toitures en bardeaux d'asphalte, en goudron, ou autres produits similaires sont assez répandues (au Canada par exemple) et on aurait avantage à les remplacer ou à tout le moins les enduire d'une peinture réfléchissante.

Le tableau 3 ci-dessous donne les coefficients d'absorption de quelques autres produits répandus pour la couverture de toitures. À la lumière des calculs effectués avec les données du béton, il est clair qu'il est possible de faire beaucoup mieux pour diminuer l'absorption de la chaleur solaire. Par exemple, un toit en ardoise absorbe une part importante des rayons du soleil, de même que le bitume, l'asphalte, etc.

Tableau 3 : Coefficient d'absorption de différents matériaux[1]

Matériau

Coefficient d'absorption

Béton brut

0,60

Tuile terre cuite

0,64

Ardoise gris foncé lisse

0,89

Acier galvanisé neuf

0,64

Acier rouillé

0,92

Aluminium poli

0,15

Asphalte

0,93

Selon un article[iv] paru dans le journal The Guardian, chaque 10 m2 de surface urbaine foncée qui serait peinte en blanc aurait le même impact refroidissant que d'éviter l'émission de 1 tonne de CO2.

Dans la seule région de Los Mochis, au Mexique, on compte près de 100 000 demeures individuelles[v] dont la surface projetée au sol est de l'ordre de 70 m2, en moyenne. C'est dire que la surface totale de toitures (excluant les commerces et l'industrie) serait de l'ordre de 7 000 000 m2 pour cette région seulement. Un programme municipal pour rendre les toitures plus réfléchissantes aurait donc un impact similaire à éviter de brûler 324 millions de litres d'essence, selon l'article du Guardian. Ceci reviendrait à ne pas utiliser de voitures dans toute la région de cette communauté pendant au moins 4 ans. Ce qui a vraiment de quoi faire réfléchir les autorités publiques, autant celles des pays riches qui pourraient subventionner un tel programme dans les pays pauvres de la couronne tropicale afin d’optimiser leur lutte à la progression de la hausse des températures du globe, que des municipalités concernées qui pourraient y voir une façon d'améliorer la qualité de vie de leurs citoyens.

Aspect financier des toits blancs

Une peinture ordinaire au latex produit un effet désirable à un prix assez modeste mais plus prometteur encore est le produit SUPER THERM® qui se vend $35,00 CAD le litre. Il s'applique au taux de 2,46 m2 par litre. À ce taux, il en coûterait $996.00 CAD pour couvrir un toit d'à peine 70 m2, en plus des frais de transport pour cette marchandise qui n'est pas actuellement facilement disponible partout. On peut cependant supposer que le coût diminuerait grandement pour des achats plus volumineux, ce qui deviendrait intéressant sur le plan financier et environnemental, vu l'effet réfléchissant accru du produit (d'un facteur de 20% selon les fiches techniques respectives) et sa meilleure performance pour refroidir le milieu de vie familial. Il est probable que les économies réalisées sur une base annuelle seraient de l'ordre du prix d'acquisition du produit, ce qui signifierait une économie réelle dès la deuxième année.

Il apparaît nécessaire pour les pays riches de porter attention aux effets que le niveau de vie élevé de leurs sociétés peut avoir sur le globe tout entier. Il serait donc envisageable de faire assumer à ces sociétés une part non négligeable des frais à encourir pour appliquer cette stratégie dans les pays où l'impact serait maximal.

S'il est difficile de chiffrer à quel point il peut s'avérer plus avantageux d'investir pour mettre en œuvre la stratégie proposée dans les tropiques plutôt que dans les régions nordiques, il est clair qu'un même investissement aurait un impact global beaucoup plus important près de l'équateur que près des pôles. C'est donc là qu'il faut agir en tout premier lieu.

Conclusion sur l’intérêt des toits blancs

Nous avons vu qu'il est possible de réduire la progression du réchauffement global en augmentant la réflectivité des toitures et qu'une telle mesure aurait également un grand nombre de bénéfices secondaires :

  • amélioration du confort dans les foyers n'ayant pas accès à la climatisation;
  • amélioration du niveau de vie des familles à faibles revenus qui dépensent actuellement une part importante de leur moyens financiers pour abaisser la température du domaine familial à un niveau supportable;
  • diminution de la température extérieure locale (ilots de chaleur);
  • diminution des émissions de GES provenant de la génération d'électricité à partir de centrales thermiques;
  • augmentation de la réflexion du rayonnement solaire incident et abaissement de la température du globe associée.

Si les régions où il serait particulièrement avantageux de procéder avec cette approche sont souvent aussi les moins riches du globe, leurs habitants sont par ailleurs très peu responsables du problème aigu que représentent les changements climatiques à l'heure actuelle. Paradoxalement, ils en sont aussi les premières victimes, avec la croissance de la fréquence des phénomènes extrêmes (ouragans, pluies diluviennes, sécheresses) et la crue des océans. Il y a donc une urgence à agir et une obligation morale qui incombe aux pollueurs, actuels et passés. Le Canada, 13ème plus grand émetteur de CO2 par habitant en 2007[vi], fait de plus en plus mauvaise figure sur la scène internationale et gagnerait en notoriété en s'impliquant dans le financement d'un programme international pour rendre les toitures des bâtiments plus réfléchissantes. De même, les compagnies pétrolières œuvrant dans les sables bitumineux albertains pourraient dorer leur image et courtiser le respect du public en subventionnant une telle entreprise sur une base volontaire de façon à faire contrepoids au tort qu'elles causent à la planète et à la réputation du pays tout entier en exploitant les gisements du sous-sol canadien.

Pour aller plus loin

Un résumé plus poussé de l’étude : Une approche alternative pour combattre les changements climatiques.pdf

Le rapport complet : Projet pour combattre les changements climatiques.pdf

[1]    http://www.outilssolaires.com/Glossaire/pop-absorption.htm. Dernière consultation le 21 décembre 2010.

[i]     Sean O’Driscoll, The Washington Post, 18 septembre 2010. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/09/16/AR2010091607740.html. Dernière consultation le 4 octobre 2010.

[ii]    Mark Henderson, The Times, 27 mai 2009. Dernière consultation le 4 octobre 2010.

[iii]   Jui Sheng Hsieh, Solar Energy Engineering. Englewood Cliffs, New Jersey : Prentice Hall. 1986. 553 pages.

[iv]   David Adam, Paint it white, The Guardian, 16 janvier 2009. http://www.theguardian.com/environment/2009/jan/16/white-paint-carbon-emissions-climate. Dernière consultation le 21 décembre 2010.

[v]    Instituto Nacional de Estadística y Geografía, Ahome, Sinaloa. http://www.inegi.org.mx/sistemas/mexicocifras/default.aspx?ent=25. Dernière consultation le 21 décembre 2010.

[vi]   Indicateurs des Objectifs du Millénaire pour le développement. http://mdgs.un.org/unsd/mdg/Data.aspx. Dernière consultation le 24 décembre 2010.