C’était un samedi. On avait prévu d’acheter un gallon de peinture « Natura » (Benjamin Moore), parmi les plus écologiques disponibles au Canada. Mais au détour d’une visite chez Home Depot, pressés par une jeune personne désireuse de voir sa chambre repeinte au plus vite, on a pris possession d’une autre peinture dite « sans COV » (sans composés organiques volatils) de la marque californienne Behr. Pour celles et ceux qui auraient oublié, les composés organiques volatils sont ces émanations toxiques issues de toutes sortes de matériaux, qui affectent la qualité de l’air. Si on ne peut pas les éviter complètement, on peut cependant limiter leur présence. Dans le choix des peintures, par exemple !

© davduf pour Écohabitation
© Sur le pot de peinture on peut lire "ZERO VOC*". L'astérisque renvoie à la précision que la teneur est calculée sans tenir compte de l'al'ajout des pigments © davduf pour Écohabitation

 

Or donc, nous avons déboursé 51,88$ pour un gallon de peinture Behr Premium Plus, d’un bleu-lilas très pâle. Et cherché à savoir après coup si la mention « sans COV » correspondait à une quelconque réalité. Le « zéro COV » est une notion délicate : tous les COV ne sont pas détectables, et au Canada, la règlementation n’exige pas de seuil minimum pour clamer qu’on est « sans COV ». Et ma peinture, elle est comment, en vrai? Récit d'une mini-enquête pas si facile. 

Étape 1. On tente une recherche sur le site web de Behr

On cherche, on cherche, on cherche, et on ne trouve pas la réponse sur le site Internet de Behr, même dans la fiche « Safety and MSDS info » de notre peinture. Grrrr. 

Étape 2. On envoie un courriel pour en savoir plus

On envoie un courriel à Behr en Californie (“I really would like to know more about the “VOC free” mention. I've read that real free VOC paintings are uncommon, actually, because you can’t detect all the VOC and all the VOC are not known and regulated”, etc.) mais après quelques heures, la réponse n’arrive pas... et on trépigne d’impatience.

Étape 3. Le coup de fil de l’amie californienne

On téléphone à une bonne amie d’Écohabitation en Californie, qui saura trouver les mots pour arracher la vérité à Behr et appeler au bon moment, rapport au fuseau horaire. La bonne amie appelle au siège de Behr, à Santa Ana. Elle est (très gentiment) pilotée par le service à la clientèle de Behr pour trouver la bonne information sur le site Internet. Il fallait en fait descendre à la section 9 de cette page, et découvrir les deux lignes correspondant à « VOC content ». Qui disent, au sujet de ma peinture :

" Material VOC: 1 gm/l (Includes Water)
Coating VOC.: 2 gm/l (Excludes Water)"

Hein? Traduction : « Includes water » désigne la totalité du bidon de peinture. « Excludes water », c’est quand on fait le calcul de la teneur en COV en excluant l’eau.

Bon. Ouf. Un gramme par litre: la teneur elle-même est effectivement faible. Mais il faut y ajouter les COV contenus dans les pigments qui ont été ajoutés, explique la dame à mon amie californienne. Ces pigments rajoutent de 1 à 5 grammes par litre selon la densité de la couleur choisie. Cette précision figure sur le pot de peinture. En petit, mais elle y est. Mais... peut-on clamer qu’on est « sans COV » à 6 grammes de COV par litre?

Étape 4. Behr envoie une réponse… bizarre

C’est alors que nous recevons le courriel de Behr, la réponse à celui envoyé deux jours avant. Il est assez étonnant.

“Dear Emmanuelle,
Thank you for contacting Behr. We appreciate your inquiry and your support of our products. Currently, we do not manufacture a VOC free paint. However, under current U.S. and Canadian environmental standards, we are able to claim that our Premium Plus interior paints are indeed zero-VOC. Our zero-VOC products contain fewer than five grams of VOC per liter (…)”

Vous suivez? Actuellement, Behr « ne fabrique pas de peinture sans COV »…. mais « selon les normes environnementales actuelles au Canada et aux États-Unis, nous sommes autorisés à affirmer que nos peintures intérieures sont, de fait, zéro COV. » Donc Behr ne fabrique pas de peinture zéro COV mais s’autorise à les étiqueter comme telles, suivant « une norme». Laquelle?

rs granne, CC
rs granne, CC

Étape 5. Et la lumière fut : l’explication de l’Association canadienne de l’industrie de la peinture et du revêtement (ACIPR).

Pour comprendre, on a envoyé un courriel à l’Association canadienne de l’industrie de la peinture et du revêtement. Lysane Lavoie, de l’ACIPR, a pris le temps de nous détailler la situation, qui n’est pas simple. Merci Lysane!

Pour résumer : 1. Les taux maximum de COV par litre admis au Canada sont, par exemple, de 250 g/l pour la teinture intérieure de150 g/l pour la peinture non-mate. 2. La plupart des marques vendues au Canada affichent désormais un taux maximum de 50 grammes par litre. 3. Au Canada, comme aux USA, il n’y a pas de règlementation claire et contraignante sur l’utilisation du mot « sans COV ».  Donc il n'y a pas de « norme » à ce sujet. Mais « notre industrie considère généralement une teneur très faible en COV ou ''near zero VOC'' à 5 g/L ou moins », nous écrit Lysane. Nous y sommes : « Our zero-VOC products contain fewer than five grams of VOC per liter» (sans compter les pigments), nous a en effet signifié Behr. « Sans COV » signifie donc le plus souvent « très faible teneur en COV »

Morale de l'histoire

C’est un tout petit mensonge, mais c’est un mensonge quand même! Un mini-greenwashing, quoi. Un gramme n’égale pas zéro gramme, et les pigments font augmenter la teneur en COV. On aimerait donc que le terme « Faible teneur » ou « très faible teneur » remplace le trompeur « sans ».