Alors que le gouvernement du Québec souhaite, dans son plan de gestion des matières résiduelles, recycler ou revaloriser 80 % des résidus de béton, de brique et d’asphalte et orienter 70 % des déchets de construction, de rénovation et de démolition (CRD) vers les centres de tri (MDDELCC, 2010), on estime que les activités de CRD ont généré 2,5 millions de tonnes de matériaux résiduels en 2015, ce qui représente près de 20 % du total des matières résiduelles générées dans la province (Recyc-Québec, 2017 ; MDDELCC, 2018).

L’objectif ultime du plan demeure que la matière résiduelle éliminée au Québec soit le résidu ultime (MDDELCC, 2014). Malgré les efforts du gouvernement dans son plan de gestion des matières résiduelles, la proportion de déchets de CRD (métaux, bois, bardeaux d’asphalte, gypse, etc.) demeure trop importante (LégisQuébec, 2018). 

Portrait local

L’utilisation de matériaux non recyclables, emballés, ou non réutilisables génère des externalités négatives environnementales, économiques et sociales à long terme. La gestion durable des déchets engendrés par le secteur CRD devient donc essentielle pour protéger la santé publique et les écosystèmes. Les coûts externes sont les coûts imposés à des personnes autres que le consommateur et ne sont donc pas pris en compte par les consommateurs sans l’intervention du gouvernement (Maibach et al., 2008). La prise en compte de ces externalités dans le prix des matériaux est donc logiquement nécessaire.

Selon Yeheyis et al. (2013), il n’existe aucun règlement ou loi fédérale au Canada qui exige la mise en œuvre de mesures de réduction des déchets du CRD. Le Canada possède seulement un programme de gestion des déchets du CRD (Mission 2030) qui établit les lignes directrices d’une gestion durable à long terme, mais son adhésion est volontaire.

Une réglementation est aussi établie au niveau fédéral pour encadrer la déconstruction durable des bâtiments. Au niveau provincial, seuls la Colombie-Britannique (responsabilisation des producteurs depuis 2017), le Manitoba (financement de projets de gestion durable des déchets du CRD), le Québec (cibles 2015 et responsabilisation de certains producteurs) et la Nouvelle-Écosse (financement de projets de gestion durable des déchets du CRD) ont des initiatives récentes de gestion des déchets du CRD (Giroux et Giroux Environmental Consulting, 2014).

En 2014, les recettes fiscales liées à l’environnement au Canada représentaient 3,7 % des recettes totales. En guise de comparaison, les pays membres de l’OCDE présentent une moyenne de 5,2 % (Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, 2017). L’OCDE (2006) démontre aussi que le produit des taxes liées à l’environnement dans les pays membres de l’OCDE provient majoritairement de l’imposition des carburants et que la part découlant de l’imposition des déchets est en hausse. 

Quelles taxes liées à l'environnement au Québec?

Au Québec, toute entreprise qui met sur le marché un produit visé par le règlement sur la récupération et la valorisation de produits pour les entreprises établie en 2012 est tenue de mettre en œuvre des programmes de récupération et de valorisation de ces produits lorsqu’ils sont mis au rebut. Les produits visés sont les suivants: huiles usagées, antigels et liquides de refroidissement, nettoyants à freins, lampes au mercure, peintures, piles et produit électroniques. En 2015, ce programme était responsable de la récupération de 95 000 tonnes de matières. Cependant, encore trop de produits ont des taux de récupération inférieurs à 70 % (piles, lampes au mercure, produits électroniques, etc.) (Recyc-Québec, 2017).

Taxer le carbone

Selon l’Office québécois de la langue française (2012), une écotaxe s’impose sur « un article ou un procédé ayant des effets préjudiciables à l’environnement, que ce soit au stade de la production, de l’utilisation, de la mise au rebut ou de l’élimination des déchets ».

La taxe sur le carbone implantée en Colombie-Britannique en 2008 se transige présentement (2018) à 35 $ par tonne d’équivalent CO2 et devrait atteindre 50 $ d’ici 2021 (Province of British Columbia, 2018). Cette taxe aurait permis de réduire les émissions de GES de 5 % à 15 % depuis sa création (Murray et Rivers, 2015) et d’augmenter le taux d’emploi de 4,5 % (60 000 emplois) entre 2007 et 2013 (Yamazaki, 2017). Les deux études précédemment citées démontrent conjointement que la taxe n’aurait eu que très peu d’effet néfaste sur la performance économique et sociale globale.

L’écotaxe proposée par Écohabitation se base donc sur les résultats encourageants de la taxe sur le carbone qui démontre la viabilité de mesures financières dissuasives dans la diminution de l’empreinte écologique d’une région. 

Les bénéfices d'une écotaxe pour les déchets issus du secteur CRD

Au Québec, les redevances imposées pour l’élimination de matières résiduelles, instaurées en 2006, ont actuellement un coût inférieur à sa récupération et sa mise en valeur (LegisQuébec, 2018). Une écotaxe permet de faire contrepoids aux inconvénients liés à l’élimination des matières résiduelles tout en encourageant une diminution à la source des matériaux.

Et le potentiel est intéressant: selon Yeheyis et al. (2013), plus de 75 % des déchets générés par le secteur CRD ont une valeur résiduelle et peuvent donc être recyclés, récupérés et/ou réutilisés. Les déchets de CRD sont principalement générés en raison d’erreurs de conception, d’un système d’approvisionnement imprécis, d’une planification inadéquate, de la manutention des matériaux, des résidus de matières premières et des changements imprévus en cours de projet (Yeheyis et al., 2013). 

De plus, le fait que ces externalités ne se reflètent pas dans le prix des matériaux revient à générer une concurrence déloyale envers les acteurs du secteur CRD soucieux des enjeux environnementaux. Les écotaxes ont pour effet de changer les comportements des consommateurs en faveur de produits qui ont une empreinte écologique inférieure. 

L'exemple encourageant de la taxe sur les pneus

La taxe sur les pneus, établis au Québec en 1999, est une forme d’écotaxe qui permet le financement de la gestion durable du cycle de vie des pneus. L’écotaxe, imposée sur les pneus neufs, s’élève à 3 $ par pneus. Le programme vise la récupération et la revalorisation à travers le remoulage, le recyclage et la valorisation énergétique des pneus hors d’usage (Recyc-Québec, s.d.). Le programme permet donc d’éviter l’enfouissement et l’entreposage des pneus au Québec, qui comportent des risques environnementaux importants. La réhabilitation des terrains contaminés (sol et eau) est aussi responsable de larges coûts financiers et d’importants risques au niveau de la santé (Recyc-Québec, s.d.).

Le financement de la gestion des pneus hors d’usage au Québec aura permis de récupérer près de 50 millions de pneus entre 2000 et 2012. Ces programmes sont aussi responsables de la création de 450 emplois (300 directs et 150 indirects) (Cantin, 2009). 

Cibler le bardeau d'asphalte et le gypse

Le Québec a récemment indiqué son intention d’examiner un modèle de responsabilisation des producteurs de déchets de bardeaux d’asphalte et de gypse (Giroux et Giroux Environmental Consulting, 2014). En ce sens, Écohabitation propose donc d’établir des mesures qui visent ces deux produits pour diminuer leur demande et dirigent l’offre vers des matériaux plus durables. 

1. Écotaxe sur le bardeau d’asphalte

Écohabitation propose d’imposer une écotaxe sur les bardeaux d’asphalte et de réinvestir les revenus dans le financement des toitures durables à l’aide d’un programme tel que RénoVert. L’objectif ultime d’installer une toiture durable réside dans la longévité de la toiture et la réutilisation des matériaux utilisés et permet de réduire l’utilisation de nouveaux matériaux à la source. 

Les maisons unifamiliales représentent 65 % du parc immobilier québécois (Lafrance et al., 2016) et la grande majorité de celles-ci possède des toits en pente construits à partir de bardeaux d’asphalte. La proportion de toitures qui sont faites de bardeaux d’asphalte aux États-Unis s’élève à 60 % (Kosny et al., 2011). Au Québec, entre 170 000 et 200 000 tonnes de bardeaux d’asphalte sont envoyées à l’élimination chaque année (Recyc-Québec, 2008) tandis qu’aux États-Unis, la réfection des toitures génère environ 6,8 millions de tonnes de bardeaux d’asphalte usagés chaque année (Kosny et al., 2011). 

Une étude réalisée à l’interne nous permet de soutenir l’avantage comparatif des toitures métalliques. En effet, selon nos données, une toiture en asphalte serait la source de 44 kg de déchets par mètre carré de bardeaux d’asphalte sur une période de 60 ans comparativement à 0 kg pour les toits en tôle (6 kg en fin de vie). De plus, l’utilisation de la tôle permet de réduire largement l’empreinte écologique de la résidence : 

Finalement, nous croyons aussi que, sur une période de 60 ans, le prix au pied carré d’un toit métallique se compare avantageusement aux bardeaux d’asphalte. Les bardeaux d’asphalte sont actuellement préférés puisque leur coût initial est inférieur, soit un prix moyen variant entre 2,50 $ et 4,00 $ par pied carré comparativement à un prix moyen entre 12,50 $ et 15,00 $ pour la tôle (source : soumission d’entrepreneurs du site soumissionrenovation.ca, voir https://soumissionrenovation.ca/cout-dune-renovation-de-toiture).

Toutefois, en prenant en compte la durée de vie largement supérieure de la tôle (plus de 50 ans ; nous utiliserons l’hypothèse conservatrice de 60 ans), l’impact financier des deux matériaux est presque identique. La moyenne du prix de l’asphalte est de 3,25 $ et de 13,75 $ pour la tôle. L’asphalte, avec une durée de vie d’environ 15 ans, devra être remplacé au moins quatre fois durant les 60 ans analysés, et aura donc un coût total de 13 $, ce qui représente une différence de 0,75 $ du pied carré. À l’aide du crédit d’impôt RénoVert, qui rembourse 20 % du prix des rénovations, le prix d’un toit métallique diminuerait à 11 $. De plus, une écotaxe de 5 $ par paquet de bardeaux d’asphalte diminuerait l’attrait d’un investissement initial faible. Un paquet couvre 32,3 pieds carrés et l’écotaxe permettrait donc d’augmenter le prix d’un toit en bardeaux d’asphalte de 0,16 $ par pieds carrés à 3,41 $ par pieds carrés. Sur une période de 60 ans, ceci représente donc une somme de 14,24 $ par pieds carrés selon quatre remplacements. Finalement, c’est une économie de 3,24 $ par pieds carrés ou 6 480 $ pour un toit de 2 000 pieds carrés. En modifiant l’hypothèse à 45 ans de durée de vie, soit trois remplacements au lieu de quatre, les deux valeurs s’avèrent presque identiques avec une différence de 0,32 $ par pieds carrés.

Simultanément, la recherche de Quantis et Oregon Home Builders Association (2010) démontre que les bardeaux d’asphalte sont responsables de 18 % des effets sur les changements climatiques des matériaux utilisés pour la construction d’une maison moyenne standard (2262 pieds carrés) et de 11 % (10 500 kg) des déchets. 

L’auteur du rapport propose l’utilisation de l’acier pour remplacer les bardeaux d’asphalte. En effet, malgré l’impact environnemental supérieur des toitures en, leur durée de vie compense largement puisque ce type de toiture a une durée de vie équivalente à celle de la maison, soit 70 ans. Selon ces mêmes statistiques, il est donc possible d’économiser 18 kg d’équivalent CO2 par pieds carrés. L’acier est le métal le plus utilisé et, surtout, le matériau le plus recyclé dans le monde. La fabrication de produits en acier recyclé demande aussi 80 % moins d’énergie que ce qu’exige la production de métaux à partir de matières vierges (Langlois-Blouin, 2010). 

Les toits métalliques représentent donc une alternative intéressante aux bardeaux d’asphalte puisque ce type de toit est facile d’entretien, peu dispendieux, durable et recyclable. 

Chalet GRAND-PIC. Architecture: APPAREIL architecture. Photo: Félix Michaud

Simultanément, les revenus engendrés par l’écotaxe pourraient notamment servir à mieux financer les centres de tri, eux qui ont un rôle crucial dans la gestion des matières résiduelles. L’écotaxe, à la source, permettrait de stimuler le réemploi et la déconstruction sélective, mais, selon une étude réalisée par Vachon et al. (2009) en collaboration avec Recyc-Québec, s’avérerait insuffisante sans une performance accrue des centres de tri. 

2. Financement par RénoVert

L’écotaxe permettrait de plus le financement de l’utilisation de matériaux plus durables lors de l’installation d’un toit à l’aide du programme RénoVert.

Actuellement, RénoVert reconnait simplement l’installation d’un toit végétalisé et d’un toit réfléchissant comme travaux de rénovation écoresponsables. Nous proposons donc que RénoVert ajoute les toits métalliques à cette liste. Le financement partiel du programme à l’aide de l’écotaxe sur les bardeaux d’asphalte permettrait de plus d’allonger le programme au-delà de la date de fin prévue, soit mars 2019 (Revenu Québec, 2018).  

3. Interdiction d’enfouissement du gypse 

L’interdiction d’enfouissement du gypse est une mesure primordiale dans le but de réduire les déchets CRD. Les panneaux de gypse sont largement utilisés comme matériau de construction dans de nombreux pays. Une grande partie des panneaux est fabriquée pour la construction de bâtiments, et des millions de tonnes de déchets de panneaux de gypse sont générés par les travaux de rénovation et de démolition (Duan et al., 2015). Selon le type de construction, les panneaux de gypse représentent entre 5 % et 25 % du volume total de déchets du CRD générés (Colledge et Wilder, 2008).

Globalement, la plupart des déchets ont été et sont toujours placés dans de simples sites d’enfouissement. Le recyclage de ce type de déchets est nécessaire en raison d’un manque d’espace d’enfouissement et en raison de préoccupations environnementales importantes (Duan et al., 2015).

En effet, les émissions résultant de la décomposition des panneaux de gypse peuvent créer des incendies en surface et souterrains dans des conditions anaérobies et en présence d’eau et émettre des émissions contribuant à la pollution de l’air. L’élimination des panneaux de gypse du flux de déchets réduirait le potentiel de production de sulfure d’hydrogène. Le recyclage de ces matériaux est un marché émergent et a le potentiel de réduire considérablement la quantité enfouie et d’ainsi réduire les effets potentiels de l’exposition sur la santé humaine (Colledge et Wilder, 2008). 

Au Québec, seulement 10 000 tonnes de gypse seraient recyclées chaque année alors que 460 000 à 540 000 tonnes seraient vendues pour un taux de recyclage moyen de seulement 2 %. Les retailles de gypse neuf seraient à elles seules responsables de 45 000 à 80 000 tonnes de déchets (Deloitte, 2018). C’est donc dire qu’une grande majorité du gypse résiduel au Québec est actuellement enfouie. 

En guise de recommandations, l’auteur du rapport propose l’utilisation d’outils réglementaires adaptés au contexte québécois. Deloitte (2018) juge donc nécessaire d’instaurer un bannissement de l’enfouissement du gypse et d’exiger des plans de recyclages solides. Cette recommandation se base sur l’étude de cas de Vancouver qui a réussi à grandement stimuler le recyclage grâce à ces mêmes outils.

L’intervention du gouvernement est nécessaire puisque le gypse résiduel possède une faible valeur, les coûts de transport associés sont élevés et les débouchés sont limités. Conséquemment, il existe un faible nombre de recycleurs de gypses et on retrouve une absence de tri à la source, ce qui entraîne une contamination de la matière (Deloitte, 2018). Ces facteurs limitent tous la prolifération du recyclage du gypse au Québec. C’est pourquoi Écohabitation tient à réaffirmer l’importance d’une intervention rapide, sans quoi des changements de comportements des acteurs du secteur CRD sont peu probables.

Chalet GRAND-PIC. Architecture: APPAREIL architecture. Photo: Félix Michaud

Références