L’étalement urbain est un phénomène de croissance spatiale excessive des villes qui réduit l’espace rural environnant. Le sujet est si large que nous avons créé pour vous un dossier complet sur le sujet. Aujourd'hui, explication du phénomène et conséquences. La semaine prochaine, on vous explique comment contrer le phénomène !

L'étalement urbain, c'est quoi ?

C'est une croissance des surfaces urbanisées en périphérie des villes, plus rapide que la croissance démographique. Ce phénomène est appuyé principalement par la valeur inférieure des terrains en périphérie des centres-villes, par l’importance des infrastructures routières québécoises, par la croissance de la population et des revenus, par la séparation des fonctions urbaines et par le faible coût des infrastructures et des transports (Vivre en Ville, s.d. ; Brueckner, 2001 ; Habibi et Asadi, 2011).

En conséquence, les banlieues développées présentent des taux de densité extrêmement faibles et se retrouvent de plus en plus loin des centres d’emplois. Ce problème mène finalement à une croissance de la congestion, des distances parcourues et des coûts d’infrastructure et à une réduction de la qualité de l’environnement et des interactions sociales (Habibi et Asadi, 2011).

La recherche de Bart (2010) illustre également une forte corrélation entre l’étalement urbain et la croissance des émissions de CO2. Le coefficient de la variable lié à l’étalement urbain est de 1,6, ce qui signifie qu’une augmentation de 1 % des zones périphériques entraîne une augmentation de 1,6 % des émissions de CO2 dues aux transports seulement. L'enjeu est donc de taille. 

Et ce sont principalement les demandes en matière d’habitation des résidents qui sont au cœur de l’étalement urbain survenu au cours des dernières années. Toutefois, la demande de logements ne reflète guère les coûts sociaux, soit coûts externes + coûts privés d’acquisition d’un logement, réellement générés par ce phénomène. Et c'est quoi un coût externe ? Simplement le coût payé par des personnes autres que le consommateur. Ils sont donc généralement négligés par les consommateurs lors de transactions immobilières. Explications :

Coûts externes liés à l’habitation

Les travaux de Brueckener et al. (2001) permettent de définir trois types de coûts externes qui ne sont pas pris en considération lors d’une transaction immobilière, soit : les avantages des espaces ouverts, les coûts sociaux de la congestion supplémentaire sur les routes et les coûts totaux d’infrastructure des nouveaux développements immobiliers (égouts, routes, déneigement, etc.).

La tarification des infrastructures et de l’entretien des nouveaux développements est généralement définie selon la méthode du coût moyen plutôt que celle du coût marginal. Cette méthode considère le coût supplémentaire que le développement en périphérie engendre par lui-même. Cette méthode de calcul impose aux quartiers denses de payer un tarif plus élevé qu’ils auraient à le faire autrement.   

En parallèle, tel que le suggère l'étude de Pierre Filion (2010) sur le cas de la région métropolitaine de Toronto, suite à la période d'étalement urbain rapide qui a eu lieu suite à la Seconde guerre mondiale, les régions métropolitaines se sont retrouvées dans une impasse structurelle majeure. En effet, puisqu'elles rapportent peu d'impôt foncier comparativement au coût d'entretien des infrastructures d'aqueduc, d'égout et de voirie, les zones de faible densité enferment les municipalités dans une trajectoire de développement problématique.

Pour payer l'entretien de ces infrastructures vieillissantes, les municipalités dont la seule source de revenu est l'impôt foncier, doivent constamment ouvrir de nouvelles zones au développement. Seulement, après quelques décennies, les infrastructures de ces nouveaux développements résidentielles doivent elles aussi être entretenues. Sortir de cette impasse développementale exigerait des investissements massifs en infrastructures, des changements profonds de mentalités et la requalification de plusieurs secteurs.

Toutefois, dans le contexte de manque structurel de ressources financières dans lequel les municipalités se sont enfermées, elles n'ont pas les moyens et souvent, n'ont pas non plus l'ambition de remettre en question ce modèle de développement. En bref, c'est pourquoi Filion parle d'obstacles structurels à la transition vers un modèle urbain plus soutenable.

Les effets négatifs de l'étalement touchent donc plusieurs sphères, autant environnementales que financières : pertes de terres agricoles, coûts financiers importants pour les municipalités, extension des réseaux (besoin de matériaux à gros impacts environnementaux, tel que le béton) et bien d'autres. Autres problématiques ? Les déplacements.

Mobilité non durable

Une étude de cas de Madrid démontre que l’étalement urbain est lié à un modèle de mobilité non durable, qui augmente le nombre de navetteurs sur les routes, les distances et l’utilisation de la voiture en général (Garcia-Palomares, 2010). Les transports collectifs (TC) semblent aussi être fortement influencés en matière d’efficacité et de compétitivité par la dispersion des zones urbaines : plus le développement est dispersé, plus son niveau d’efficacité et de compétitivité est faible (Camagni et al., 2002).

Les taux d’émissions de GES du transport par habitant en 2006 (en tonne équivalent CO2 par habitant) selon les secteurs nous renseignent sur l’influence de la dépendance automobile sur les émissions polluantes. En effet, les couronnes Nord et Sud présentent des taux d’émissions supérieurs de 38 % et 47 % comparativement à l’agglomération de Montréal. Laval et l’agglomération de Longueuil présentent pour leur part des taux supérieurs de 25 % et 9 % (AECOM, 2010). L’éloignement se traduit donc par une forte augmentation des émissions polluantes par habitant. 

L’organisme Vivre en Ville (s.d.) distingue, dans un article à propos de l’étalement urbain, la meilleure localisation des bâtiments en matière d’émissions de GES selon leurs activités respectives. Ainsi, pour les édifices de bureaux, la meilleure localisation serait sans contredit la centralité d’agglomération. Les commerces quant à eux ont un impact moindre lorsqu’ils se situent à l’intérieur de petits pôles au cœur de leurs quartiers, accompagnés d’un système de transport durable bien développé. Les bâtiments offrant des activités de loisirs devraient idéalement être situés soit dans les pôles d’emploi, soit dans les pôles commerciaux et permettent de renforcer ces pôles.

Ainsi, en prenant en considération l’ensemble des externalités associées à ce phénomène, les choix de localisation des ménages auraient probablement été différents puisque, pour toutes transactions complétées, le bénéfice privé perçu par le consommateur est supérieur au coût privé. Selon cette logique, les pertes résultant de la baisse de la consommation de logements et d’espaces résidentiels seraient compensées par des gains résultant de la densification tels que la réduction des kilomètres parcourus en voiture, l’augmentation des espaces verts et des terres agricoles, la diminution des émissions polluantes, la croissance des interactions sociales et les économies liées aux services collectifs urbains.

Et on fait ça comment exactement ? On vous en parle la semaine prochaine. En attendant, horizon de notre réalité québécoise.

État de la situation au Québec

Le Québec a adopté en 1978 la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, ayant comme objectif de favoriser la protection des activités et des entreprises agricoles dans les zones agricoles établies. 35 ans plus tard, 57 % du territoire de la grande région de Montréal est zoné agricole et 18 % du territoire non agricole est toujours disponible à la construction (CPTAQ, 2015) ! En 2011, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) présente le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) qui prévoit une densification des zones urbaines et une délimitation du périmètre métropolitain (CMM, 2012).

Les deuxièmes couronnes font partie des zones d’urbanisation déterminées par le PMAD puisque la CMM tente d’éviter un effet de rareté (CMM, 2012) en matière de logements. Ceci se produit lorsque la croissance de la population surpasse l’augmentation de l’offre de logements et crée une pression à la hausse sur les prix. Nous croyons toutefois que de limiter l’étalement des zones urbaines permettrait au contraire de pousser les développeurs immobiliers à construire des bâtiments plus compacts. Ainsi, l’offre de logements serait maintenue à un niveau équivalent. Ce moyen permettrait de surcroît de limiter les kilomètres parcourus en voiture puisque la tendance au Québec fait état d’une croissance de la mobilité surpassant les tendances démographiques. Par exemple, entre 1990 et 2013, on assiste à une croissance déséquilibrée des kilomètres parcourus (+40 %) en voiture par rapport à la population (+17 %) (Équiterre, 2017 ; ISQ, 2013).

Le plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement québécois priorise des actions qui permettent de freiner l’étalement urbain. Des efforts de densification sont ainsi prévus, spécialement autour des nœuds de transport collectif (Gouvernement du Québec, 2012).

Lisez notre second article sur le sujet de l'étalement urbain où nous abordons les différents outils disponibles aux fonctions publiques pour freiner l'étalement urbain, tels que les mesures règlementaires et incitatives ainsi que des études de cas.

Sources

  • AECOM (2010). Portrait des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal. Pour la Communauté métropolitaine de Montréal. Récupéré de http://cmm.qc.ca/fileadmin/user_upload/documents/20100922_rapportTecsult_GES.pdf
  • Alterman, R. (1997). The challenge of farmland preservation: lessons from a six-nation comparison. Journal of the American Planning Association, 63(2), 220-243.
  • Ambarwati, L., Verhaeghe, R., Pel, A. J., & van Arem, B. (2014). Controlling Urban Sprawl with Integrated Approach of Space-Transport Development Strategies. Procedia-Social and Behavioral Sciences, 138, 679-694.
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