Dans un rapport publié aux débuts de la pandémie, Fatih Birol, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (IEA), a averti que l'épidémie de coronavirus pourrait déclencher un ralentissement de la transition énergétique vers des sources d'énergie durables… à moins que les gouvernements n'utilisent des investissements durables pour aider à soutenir la croissance économique. Faire face au ralentissement mondial découlant des stratégies de mises en quarantaine ne sera pas chose aisée, autant le faire en soutenant l'environnement et les citoyens. Faire de l'adversité une opportunité.

Ces jours-ci, le portrait est le même partout: secteur du transport en baisse de 50 à 85 % (selon les sources), travail à domicile devenu la norme, fermetures d'écoles et vastes mesures d'isolement social mises en œuvre. On constate déjà une réduction globale de la production de gaz à effet de serre. D’après une récente étude d'un chercheur du Centre for Research on Energy and Clean Air, la récession en Chine aurait provoqué en février un recul de 200 millions de tonnes des émissions. Ce qui équivaut à 25 % de GES en moins par rapport à la même période l’an dernier!

L'IEA va encore plus loin et prévoit que les retombées économiques de Covid-19 seront telles qu’elles anéantiront la croissance de la demande mondiale de pétrole pour l'année à venir et ce, malgré la chute des prix du pétrole. De fait, nous avons pu constater la baisse la plus prononcée du prix du pétrole au cours des 30 dernières années, les grandes sociétés énergétiques de par le monde essuyant ainsi des pertes de plusieurs milliards de dollars.

« Il n'y a rien à célébrer dans une baisse probable des émissions due à la crise économique car en l'absence de bonnes politiques et mesures structurelles, cette baisse ne sera pas durable », a déclaré Fatih Birol.

Les impacts économiques de Covid-19: un ralentissement des infrastructures

Selon les scientifiques qui étudient les changements climatiques, la plongée économique générale en cours devrait bloquer de nombreux projets d'infrastructure, y compris les investissements de plusieurs milliards de dollars dans l'énergie durable nécessaires pour réduire les émissions de CO2 à long terme et éviter une catastrophe climatique d'ici la fin de la décennie.

Selon un rapport inquiétant de Bloomberg New Energy Finance, dans le sillage de Covid-19, l'année à venir pourrait voir sa première chute dans la croissance mondiale de l'énergie solaire depuis les années 1980, les analystes prévoyant une réduction de 8 % dans les nouveaux projets d'énergie solaire. On prévoit également une stagnation dans les ventes de véhicules électriques en 2020.

Comment maintenir le passage aux énergies renouvelables après le coronavirus?  

« Nous ne devons pas laisser la crise (virale) d'aujourd'hui compromettre la transition vers une énergie propre », a déclaré Birol. Il a suggéré que les gouvernements mondiaux utilisent les plans de relance économique en préparation pour aider les pays à se remettre de l'impact économique négatif du coronavirus afin de stimuler les investissements dans les technologies énergétiques et projets d’infrastructures propres.

Il a ajouté: « Nous avons une fenêtre d'opportunité importante. Les principales économies du monde préparent des plans de relance. Un plan de relance bien conçu pourrait offrir des avantages économiques et faciliter un renouvellement du capital énergétique qui présente d'énormes avantages pour la transition énergétique propre. »

L’analyse de l’IEA a conclu que 70 % des investissements mondiaux dans les énergies propres sont financés par les pouvoirs publics, soit par des financements publics directs, soit par le biais de politiques telles que les subventions ou les taxes. L'analyste indépendant de l’IEA a également indiqué que les subventions gouvernementales aux combustibles fossiles totalisent 400 milliards de dollars par an.

Supprimer les subventions aux combustibles fossiles et investir dans l'efficacité énergétique

Birol de l'IEA exhorte les gouvernements du monde entier qui recherchent des solutions économiques au ralentissement du coronavirus à investir dans des mesures d'efficacité énergétique. Cela peut ne pas offrir beaucoup de bénéfices à court terme alors que les prix de l'énergie sont si bas, mais devrait s'avérer un investissement lucratif à plus long terme.

Le chef de l'IEA exhorte également les décideurs politiques à utiliser la chute spectaculaire des prix mondiaux du pétrole pour éliminer les subventions aux combustibles fossiles. Les politiques et leaders financiers mondiaux se doivent de concevoir des plans de relance durables qui se concentrent sur les énergies propres et accélèrent la sortie des combustibles fossiles. 

« Ces conditions de marché difficiles seront un test clair pour les engagements du gouvernement », a déclaré Birol. « Mais la bonne nouvelle est que, par rapport aux plans de relance économique du passé, nous avons des technologies renouvelables beaucoup moins chères, nous avons fait des progrès majeurs dans les véhicules électriques et il existe une communauté financière favorable à la transition vers une énergie propre. Si les bonnes politiques sont mises en place, il est possible de tirer le meilleur parti de cette situation », a-t-il ajouté.

Pendant la crise sanitaire, la consultation pour des forages pétroliers exploratoires n'est pas abandonnée

Alors que le pays met son activité sur pause pour protéger la population de la contagion, les plans du gouvernement de Justin Trudeau, concernant l'exploration des milieux marins au large de Terre-Neuve pour y exploiter du pétrole et du gaz, eux, ne sont pas mis sur pause.Dans son article paru dans le Devoir le 23 mars, Alexandre Shields relaie les critiques faites au Premier Ministre pour son maintien des consultations publiques en ligne, malgré la crise du coronavirus. L'enjeu est de taille: éliminer les évaluations environnementales exigées actuellement pour les forages exploratoires dans la zone. Celles-ci auraient probablement freiné le projet, car la Société pour la nature et les parcs du Québec y avait mis en place des refuges pour renforcer la protection des écosystèmes marins.

Des voix s'élèvent pour soutenir les travailleurs et investir dans une économie sobre en carbone

Au Canada, les voix s'élèvent aussi pour que le plan de relance économique rendu nécessaire par la crise sanitaire ne profite pas au secteur pétrolier et gazier, mais plutôt aux travailleurs et travailleuses. Une lettre signée par un regroupement d’organisations de protection de l’environnement,  du milieu de la santé, de groupes confessionnels et de justice sociale, de groupes citoyens et de syndicats représentant au total plus d’un million de personnes, a été adressée au Premier Ministre Trudeau et à son cabinet à ce propos.

Dans la lettre, la Dr. Courtney Howard, Présidente du Conseil d’administration de la Canadian Association of Physicians for the Environment (CAPE), explique que: « Nous sommes à un point de bascule crucial et les changements climatiques doivent être intégrés dans tous les processus de décision. Les politiques que nous mettons en vigueur aujourd’hui doivent bénéficier à tous les Canadien.nes et mettre la table pour que nous puissions avoir confiance dans la phase post-coronavirus. » 

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace Canada, affirme que « (...) le gouvernement devrait offrir de la formation et un revenu de soutien directement aux travailleur.ses, assurer une gestion indépendante du programme de nettoyage des puits de pétrole (orphelins) et investir dans un avenir énergétique propre et viable ». 

Cette lettre, signée par plus de 91 membres du Front commun et des alliés, dont Écohabitation, est parue dans Le Soleil le 14 avril.

Ce groupe pancanadien compte de nombreuses organisations québécoises, comme Nature Québec LeadNow, Équiterre, Greenpeace Canada, ENvironnement JEUnesse, Leap Montreal, Ecologos, Earth Day Canada / Jour de la Terre, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), Le Pacte pour la transition, Extinction Rebellion Québec, Eau Secours, le Conseil central du Montréal métropolitain-CSN. Voir le communiqué de presse.

Nous attendons tous que les décideurs politiques et les actionnaires orientent leurs actions vers une société plus juste et une économie plus durable ; gardons espoir pendant cette période de confinement!