Depuis 2014, Yvon Boulianne s’est attelé à l’autoconstruction d’une résidence secondaire à l’Isle-aux-Coudres, avec l’aide de son fils Vincent. Après plusieurs constructions et rénovations, ces deux architectes se sont lancés le défi un peu fou de viser la certification Passivhaus pour cette résidence, et ils ont l’air bien partis pour y arriver.

La certification Passivhaus accrédite des maisons dont les enveloppes atteignent une très haute performance d’efficacité énergétique. Ses exigences de base sont très contraignantes et ne sont pas faciles à réaliser dans un climat aussi rude que le Québec. Il est exigé que :

  • les besoins en chauffage soient limités à 15 kWh/m²/an, ou bien que la puissance de chauffage n’excède pas 10 W/m²;
  • les besoins en énergie primaire totale soient en-dessous de 120 kWh/m²/an;
  • l’occurrence des surchauffes annuelles ne dépasse pas 10% d’heures (> 25°C);
  • l’étanchéité de l’enveloppe ne dépasse pas 0,6 CAH @ 50 Pa.

Comprendre les cibles d’étanchéité à l’air de l’enveloppe

Cette dernière exigence de Passivhaus est celle qui nous intéresse tout particulièrement dans le cas de la maison passive de l’Isle-aux-Coudres. Elle traite de l’étanchéité à l’air de l’enveloppe dont la performance a un très grand effet sur la consommation énergétique de chauffage et la durabilité de la structure. Plus l’étanchéité à l’air est importante, moins il y a d’infiltrations d’air frais en hiver et moins il y a de problèmes d’humidité liés à la condensation de la vapeur dans le mur. On ne rappellera jamais assez à quel point il est primordial de soigner l’étanchéité à l’air de son enveloppe thermique!

C’est pourquoi les programmes de certification s’intéressent de très près à l’étanchéité à l’air, en effectuant des tests obligatoires sur les constructions neuves ou existantes. Écohabitation regrette d’ailleurs que ce test ne soit pas obligatoire pour toute maison neuve construite au Québec. Pour évaluer l’étanchéité à l’air des bâtiments, on effectue ce qui s’appelle un test d’infiltrométrie, qui consiste à créer une différence de pression entre l’intérieur de la maison et l’extérieur avec un ventilateur, puis mesurer le débit nécessaire pour créer ce différentiel. La plupart du temps, on effectue un test de dépressurisation à 50 Pascals, c’est-à-dire qu’on dépressurise l’intérieur de la maison jusqu’à atteindre 50 Pa de différence avec l’extérieur (ce qui équivaut approximativement à l’effet d’un vent de 30 km/h ou 20 mph sur la maison). Lors du test, on envoie de manière forcée l’air intérieur hors de l’enveloppe de la maison, ce qui a pour effet d’aspirer l’air extérieur par tous les percements de l’enveloppe.

Le résultat du test d’infiltrométrie s’exprime généralement en « changements d’air par heure à 50 Pascals » (le fameux CAH @ 50 Pa). C’est-à-dire qu’à une différence de pression de 50 Pa entre l’intérieur et l’extérieur, l’air de la maison aura X renouvellements complets d’air à travers les trous et infiltrations dans l’enveloppe. Comme règle du pouce, vous pouvez diviser cette valeur par 15 à 20 pour obtenir les changements d’air par heure qui surviennent à pression atmosphérique ambiante. Pour s’y retrouver, voici quelques balises :

  • Maison non étanche :                                > 5 CAH @ 50 Pa
  • Construction récente :                               environ 3,5 CAH @ 50 Pa
  • Novoclimat (unifamiliale détachée) :   1,5 CAH @ 50 Pa
  • Novoclimat (unifamiliale attenante) :   2,0 CAH @ 50 Pa
  • Passivhaus :                                              0,6 CAH @ 50 Pa

Résultats impressionnants pour la maison passive de l’Isle-aux-Coudres

Sachant tout cela, on est capable de mieux apprécier le score obtenu par la maison passive de l’Isle-aux-Coudres. Écohabitation s’est rendue fin mai 2016 sur le site pour tester l’étanchéité à l’air de la maison, et le résultat était incroyable : 0,15 CAH @ 50 Pa! Autant dire : pratiquement aucune infiltration d’air à travers l’enveloppe! Il suffit d’approximativement 45 CFM (pieds cubes par minute) pour dépressuriser la maison au complet; à peine le débit d’un ventilateur de salle de bain…

Maison passive Isle-aux-Coudres
En plus, la maison a une vue magnifique sur le fleuve St-Laurent et Charlevoix! © Benjamin Zizi, Écohabitation

Le projet arrive à cette performance grâce à l’utilisation de membranes pare-air autocollantes, grâce à l’utilisation de fenêtres étanches (dont des murs rideaux au salon, des produits très rares dans le résidentiel), ainsi qu’une conception et mise en place minutieuses : le pare-air est ininterrompu sur tout le volume du bâtiment et les éventuels percements ont été scellés avec minutie.

Le plus souvent, il est conseillé aux projets qui recherchent une telle performance de réaliser des tests d’étanchéité aux étapes clés de la construction du bâtiment, pour déceler les infiltrations et faire les scellements avant qu’il ne soit trop tard. C’est pourquoi de plus en plus de constructeurs engagés vers la performance s’équipent pour pouvoir tester directement sur chantier, ou commandent des tests à des moments clés. La performance d’Yvon et Vincent Boulianne est d’autant plus impressionnante que c’était la toute première fois que le bâtiment était testé : le test passait ou ne passait pas… Heureusement, le travail minutieux et l’attention presque maniaque de l’équipe du projet se sont révélés plus que payants : on pense notamment aux heures passées par Vincent sur le toit pour sceller tout minuscule percement et celles passées par Yvon pour éradiquer le moindre interstice, jusqu’à sceller la plus petite des serrures le jour précédant le test.

Même s’ils sont très fiers du projet et du résultat, le père et le fils rappellent l’objectif humble du projet : « notre philosophie a été depuis le début d’en faire un projet pilote qu’on souhaite diffuser pour partager nos expériences et nos résultats ». On ne peut qu’applaudir cette démarche, car effectivement, un score n’est qu’un score et le but du test d’étanchéité à l’air n’est pas d’inscrire des maisons au livre des records, mais de valider la performance du plus grand nombre et détecter les façons d’améliorer leur enveloppe. Seulement au vu du résultat incroyable, il était impossible de ne pas chercher à savoir si un tel niveau de performance avait déjà été atteint. À ce jour, nous n’avons eu connaissance d’aucune maison unifamiliale qui atteigne ce niveau d’étanchéité au Québec et au Canada! 4 Si le record mondial de 0,05 CAH@50 Pa appartient à une maison en Alaska au design plus que spartiate, les constructions qui se situent en-dessous de 0,20 CAH@50 Pa se comptent sans doute sur les doigts d’une main. Concepteurs et constructeurs, à vos détails technique. Il semble y avoir une nouvelle cible à battre au Québec!

1 Pour en savoir plus sur la maison passive Isle-aux-Coudres : bouliannecharpentier.ca

2 Bien sûr, plus l’étanchéité à l’air est grande, plus il est nécessaire d’avoir une ventilation d’apport d’air frais adéquate. Le Code de construction exige l’installation d’un ventilateur récupérateur de chaleur (VRC) qu’il est nécessaire de faire fonctionner suffisamment, voire en continu. Il est fortement recommandé d’opter pour le VRC le plus efficace possible, avec un bon dimensionnement, un balancement des conduits optimal et un filtre efficace.

3 Pour être plus exact, un test en dépressurisation et un test en pressurisation ont été réalisés, puisque la certification Passivhaus exige ceci pour plus de précision. Le résultat en dépressurisation était de 0,16 CAH@50 Pa, alors que celui en pressurisation était de 0,14 CAH@50 Pa. Pour être encore plus exact : plusieurs tests ont été réalisés, puisque la performance extrême de la maison et un petit vent rendaient la prise de mesure assez difficile à réaliser.

4 Merci de nous aviser de toute information à ce sujet, la recherche est encore en cours!