Louise Roy préside l’Office de consultation publique de Montréal, un organisme indépendant chargé par la Ville d’évaluer l’opinion des résidents lors de projets d’aménagement. Présente au sommet Ecocités à Montréal (août 2011), elle avait évoqué les résistances des Montréalais, parfois contradictoires, au développement de nouveaux ensembles immobiliers ou à la transformation de certains quartiers. Elle détaille sa pensée pour Ecohabitation.

Les Montréalais sont-ils conscients de la nécessité de densifier la ville, c’est à dire de construire des logements dans le tissu urbain, à proximité des transports publics, et non pas en lointaine banlieue ?

Les habitants de la métropole adhèrent d’emblée à l’importance de développer les transports en commun, et de réduire l’usage de l’automobile. Et ils acceptent une certaine densification pour y parvenir… Mais, quand vient le temps des travaux et des constructions, des résistances apparaissent, qui sont inévitables, particulièrement ici. En effet, Montréal est une ville peu dense, agréable à vivre. Les immeubles de petite taille, la profusion de petits jardins, font l’identité de la ville. Si bien que les projets de créer des résidences en hauteur inquiètent. C’est un changement culturel difficile à accepter.

Donnez-nous des exemples de ces résistances… qu’est-ce qui inquiète le plus les Montréalais quand un aménagement s’annonce ?

Les inquiétudes sont d’abord sociales. Dans les quartiers moins favorisés, tout en souhaitant l’arrivée de nouveaux services de proximité, les habitants se méfient de la « gentrification » qui accompagne souvent la construction d’immeubles neufs. Ils craignent que l’arrivée de familles plus aisées ne fasse monter les prix du logement dans leur quartier et qu’eux-mêmes soient contraints de partir à plus ou moins court terme. De manière plus générale, ils sont inquiets de voir leur lieu de vie changer d’identité.

Cette inquiétude sociale se manifeste aussi dans l’autre sens ! Les habitants d’un quartier plus favorisé s’inquiètent de l’implantation de logements sociaux à proximité.

Il y a d'autres inquiétudes liées au paysage...

Oui, il y a le refus de la hauteur. Les gens ont l’impression que la tour limite l’ensoleillement des habitations environnantes, qu’elle écrase le paysage. Ils ont peur que d’autres tours se construisent dans la foulée. Ils cherchent à connaître les intentions de leur arrondissement concernant l’évolution du quartier et demandent à voir les plans sur 5 – 10 ans. Ces plans leur permettent de se faire une idée plus précise des impacts éventuels d’un premier projet de grande hauteur sur leur quartier

La destruction des espaces naturels encore présents à Montréal fait également partie des enjeux . Quelques polémiques ont eu lieu ces dernières années à ce sujet, mettant parfois en opposition des défenseurs de la densification, d’orientation écologiste, à des défenseurs des espaces verts, également écologistes.

Je citerais enfin la peur de la congestion routière. Malgré les bonnes intentions, l’arrêt de bus ou la station de métro n’arrivent pas aussi vite dans le quartier que l’ensemble immobilier. Si bien que les résidents ont peur de se voir envahis par les voitures des nouveaux habitants.

Pouvez-vous nous donner des exemples récents d’aménagements qui suscitent des questions, des inquiétudes ou des controverses ?

Le vaste secteur des anciens ateliers du Canadien National, soit presqu’un tiers de l’arrondissement du Sud-ouest, doit être revitalisé.  Les citoyens se sont mobilisés depuis plusieurs années pour développer leur vision et influer sur les décisions à travers notamment « l’Opération populaire d’aménagement » (OPA). L’Office a été mandaté pour tenir deux exercices de consultation dans l’arrondissement à la suite d’une demande citoyenne. Bien qu’en principe, la communauté ait été d’accord pour densifier le quartier, on a tenu à en définir les limites : des logements abordables de 4 à 6 étages dont une forte proportion de logements sociaux.. L’aménagement de la partie industrielle- ferroviaire du site, tout en soulevant la fierté d’un retour aux activités qui ont fait la réputation du quartier durant le siècle dernier, suscite quand même des inquiétudes au sujet du contrôle des nuisances. Il faudra voir comment le projet se réalisera

Nous venons de clore un travail de consultation sur le plan de revitalisation du  quartier Sainte-Marie : là aussi, une crainte de l’embourgeoisement s’est exprimée, d’autant que ce quartier, non loin du centre-ville, pourrait devenir très attractif. Les gens ont peur que le quartier passe de « dévitalisé » à « gentrifié »…

Comment faire pour convaincre que les immeubles de grande hauteur sont pertinents et ne vont pas abîmer le paysage ?

C’est possible de créer des environnements en hauteur qui soient conviviaux, agréables à vivre, et qui amènent l’implantation de services de proximité utiles à l’ensemble du quartier. Il faut d’abord être attentif aux besoins du quartier et tenter d’y répondre notamment par l’aménagement d’espaces verts ouverts, par l’inclusion de services utiles à la communauté et non seulement aux nouveaux résidents. L’attention portée à l’aménagement des accès aux immeubles de grande hauteur et de leur stationnement, peut aussi faire une différence quant aux nuisances dues à la circulation. Le positionnement de la tour et son intégration architecturale au milieu environnant aussi. Le projet des Bassins du Nouveau Havre et le réaménagement du site de Radio-Canada sont des projets à suivre.

Propos recueillis par Ecohabitation