Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs et le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie annoncent la mise en place de nouvelles règles qui visent à encadrer l’utilisation du gaz naturel dans le secteur des bâtiments. Ce plan est annoncé en lien avec la conférence de Bakou sur les changements climatiques (COP29).
Rappelons que l’utilisation du gaz naturel dans nos habitations est extrêmement polluante : sa consommation représente 8 % de l’énergie utilisée dans le secteur résidentiel, et pourtant, il est responsable de 43 % des émissions de GES totales du secteur.
Ayant été impliquée dès la première étape, des règlements municipaux jusqu’en commission parlementaire, l’équipe d’Écohabitation est heureuse de constater que le gouvernement du Québec est enfin passé à l’action pour sortir le gaz d’origine fossile de nos bâtiments. Ces résultats sont certainement en corrélation avec les efforts déployés par plusieurs organisations écologistes qui ont lutté pour faire comprendre les nombreux enjeux néfastes de l’utilisation du gaz dans le secteur résidentiel au gouvernement, notamment à travers des consultations. Cependant, il faut être prudent face à l’application de « fausses solutions », qui peuvent être déguisées en avancement pour la décarbonation, sans en être réellement.
Les amendements prévus et les objectifs visés
Inspirée des règlements municipaux en vigueur, cette règlementation vise les bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels, qu’ils soient neufs ou existants. Le secteur industriel est donc exclu de cet amendement.
Pour viser la décarbonation, la nouvelle approche inclut l’efficacité énergétique, l’électrification, la biénergie et l’utilisation optimale d’autres sources d’énergie renouvelable, comme le gaz de source renouvelable (GSR) ou le gaz naturel renouvelable (GNR). Le GSR englobe une gamme plus large de gaz provenants de sources renouvelables, y compris le GNR, mais aussi d’autres gaz produits à partir de processus chimiques ou thermochimiques, notamment l’hydrogène de source renouvelable ; alors que le GNR est essentiellement issu de la biométhanisation de matières organiques.
Principalement, des modifications importantes de deux règlements existants sont prévues, soit :
- Le Règlement sur les appareils de chauffage au mazout, dont la portée sera élargie afin d’interdire l’installation d’appareils de chauffage au gaz naturel dans les bâtiments résidentiels neufs de moins de 600 m2 et de trois étages ou moins, à une exception près, en Outaouais. Dans cette région, le distributeur Gazifère s’engage à déposer un plan de décarbonation pour l’ensemble du secteur des bâtiments auprès de la Régie de l’énergie dès janvier 2025.
- Le Règlement concernant la quantité de gaz de source renouvelable devant être livrée par un distributeur exigera aux distributeurs de rehausser le pourcentage de gaz de source renouvelable (GSR) dans les bâtiments existants alimentés au gaz naturel pour atteindre une alimentation 100 % renouvelable, à l’exception du secteur résidentiel de l’Outaouais.
Ces deux changements réglementaires feront l’objet d’une consultation l’an prochain et le gouvernement vise l’année 2026 pour leur entrée en vigueur.
Une nouvelle cible de zéro émission de GES d’origine fossile liée au chauffage dans le parc immobilier institutionnel en 2040 est visée. Puisqu’une décarbonation complète est visée d’ici 2040 par le gouvernement, cela signifie que, d’ici 15 ans, les chaudières au gaz dans les anciens bâtiments ne seront plus permises. Ce n’est donc pas rentable pour les citoyens de prévoir un remplacement entre-temps.
Ces objectifs annoncés signifient que le gouvernement s’attaquera aussi au retrait des énergies fossiles dans les anciens bâtiments. C’est une excellente nouvelle, puisque ceux-ci constituent actuellement la majorité du parc immobilier. Pour arriver à éliminer complètement le gaz du secteur résidentiel, il faut absolument prendre en compte les anciens bâtiments et électrifier les systèmes déjà actifs au gaz.
Le gouvernement québécois vise aussi à doubler les économies annuelles d’énergie d’ici 2030, grâce à des investissements de près de 900 millions de dollars destinés à la sobriété et à l’efficacité énergétique, pour pallier les manques dus à la hausse de demande d’électricité en lien avec ces mesures.
Est-ce que ces mesures sont assez ambitieuses et suffisantes?
Premièrement, dans le secteur résidentiel, l’objectif ultime est de retirer le gaz naturel sous toutes ses formes, puisque nous sommes d’avis que le gaz, y compris le gaz naturel renouvelable (GNR), n’a pas sa place dans nos résidences. Cette position est justifiée par l’existence de bien meilleures stratégies que le recours au gaz ou à la biénergie pour éviter les pointes hivernales et assurer une sécurité énergétique. En effet, les solutions sont multiples : tarif dynamique, thermopompes, accumulateurs thermiques, étanchéisation des maisons, systèmes de récupération des eaux de drainage, changement de fenêtres pour une meilleure performance, etc. Bien qu’il y ait de nombreuses solutions, leur application peut parfois être coûteuse, surtout pour certaines typologies de bâtiments existants qui sont plus complexes à décarboner. Il faut donc que cette décision s’accompagne de programmes d’aide financière et d’éducation pour faciliter la transition.
Le GNR est une stratégie mise de l’avant dans l’annonce du gouvernement et il est présenté comme une énergie renouvelable. Or, le GNR est une ressource précieuse et dispendieuse. En effet, même si le gaz naturel renouvelable est moins dommageable pour l’environnement que le gaz naturel de source fossile, sa capacité est limitée : actuellement, c’est seulement 2 % de la consommation de gaz qui est constituée de GNR.
À propos de la biénergie, Emmanuelle Rancourt, coordonnatrice de la coalition Sortons le gaz!, dont Écohabitation fait fièrement partie, exprime que « permettre le remplacement par des systèmes utilisant du GSR, c’est vouer la population à dépendre d’une source énergétique dont les volumes seront très incertains et dont les coûts grimperont en flèche ». De plus, la biénergie ne s’avère pas rentable pour les propriétaires d’un point de vue économique.
Ce grand manque à combler au niveau de l’approvisionnement en GNR au Québec pour atteindre les cibles visées par le gouvernement fera en sorte que la ressource devra être importée, ce qui laisserait un impact sur l’environnement très néfaste.
Les vrais outils pour une décarbonation
Plutôt que d’utiliser cette ressource rare dans le secteur résidentiel, dans lequel les solutions de décarbonation sont bien réelles et accessibles, elle devrait être priorisée pour réduire le taux de gaz naturel de source fossile dans le secteur industriel. C’est dans celui-ci que se retrouve la majorité du gaz naturel consommé, ainsi que des industries non électrifiables qui bénéficieraient davantage du GNR.
Nous croyons que le gouvernement devrait éviter de miser sur l’illusion d’une solution durable par le biais du GNR ou de la biénergie, qui est en réalité une embûche au processus de décarbonation, pour se concentrer davantage sur :
- les solutions d’atténuation des pointes hivernales
- la transition vers de véritables énergies renouvelables
Dans le milieu écologiste, les réactions des organismes et institutions face à cette annonce sont en partie positives. En effet, il y a de quoi se réjouir que le gouvernement québécois souhaite passer à l’action pour réduire nos GES. Par contre, plusieurs pensent aussi que le gouvernement continue de s’embourber dans les pièges de la biénergie et du gaz de source renouvelable, ou bien que ces mesures n’auront pas assez d’influence sur le retrait réel des sources fossiles au Québec.
Le mouvement de décarbonation s’accélère
Malgré nos réserves sur les mesures annoncées, il y a indéniablement un mouvement qui s’accélère pour sortir les sources d’énergies fossiles parmi les ressources d’énergie québécoises. En effet, plusieurs municipalités ont déjà interdit l’installation de systèmes au gaz dans les nouvelles résidences, par exemple, la Ville de Prévost, qui est la première ville à avoir adopté cette règlementation ; la Ville de Montréal, dont le règlement serait en vigueur le 1er janvier 2025 ; ainsi que Mont-Saint-Hilaire et Candiac.
Rappelons qu’à l’automne 2023, au travers du développement du projet de loi 41, le gouvernement Legault a défendu aux municipalités d’interdire le gaz dans leurs territoires, dans le but d’éviter des surcharges sur le réseau électrique. Cette loi a été adoptée depuis, et elle a finalement permis aux municipalités de mettre en place de telles mesures, mais elles doivent tout de même être approuvées par le ministère de l’Environnement, ce qui crée des embûches aux initiatives de décarbonation. Il est donc crucial que le règlement provincial permette davantage de flexibilité aux municipalités en ce sens, afin de permettre la mise en place de règlements plus ambitieux si les villes le désirent.
Cette annonce du gouvernement s’inscrit dans un réel mouvement de décarbonation, que de plus en plus d’institutions et de municipalités adoptent et qui donne un signal clair aux citoyens : les sources à énergie fossiles seront tassées des visions d’avenir pour l’approvisionnement en énergie au Québec, pour laisser la place entière aux sources renouvelables. Cependant, cette annonce n’est que la pointe de l’iceberg, puisqu’il reste encore énormément de travail à faire pour atteindre la carboneutralité.
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