Anciennes industries ou décharges, stations-services, sites d’enfouissement et même agriculture... Plusieurs activités humaines contaminent les sols sur le long terme. Les terrains contaminés peuvent être de vrais bombes à retardement s'ils ne sont pas dépollués avant d'être réoccupés ; plusieurs propriétaires résidentiels de Montréal l'ont constaté à leurs dépends.

Pour décontaminer les sols, l’eau, la boue, les sédiments et parfois même l’air, on entend de plus en plus parler de phytoremédiation. Comment cela fonctionne? Est-ce une solution d’avenir pour le Québec? Est-ce pertinent pour les terrains résidentiels aussi? Tour d’horizon et entretien avec Michel Labrecque, professeur associé à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, Botaniste et Chef de division R&D scientifique au Jardin botanique de Montréal.

En quoi consiste la phytoremédiation?

En bref, la phytoremédiation est simple: utiliser des plantes pour décontaminer les sols, l’eau ou même l’air, et préserver les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire de manière biologique. Le traitement permet de décontaminer toutes sortes et surfaces, mais on traite surtout des terrains industriels abandonnés, pour ensuite utiliser un espace qui serait sinon resté stérile.

Sols contaminés: une gestion complexe et risquée

Michel Labrecque nous explique: « Les métaux sont bénéfiques à la croissance des végétaux, qui les captent puis les fixent ou les métabolisent pour leur croissance. Selon le choix des plantes, on peut autant décontaminer les matières organiques, qui sont dégradés dans le sol, In Situ, et les matières inorganiques, qui sont accumulées dans les tiges et les feuilles des plantes. Avec cette méthode, de nombreux contaminants seront ainsi dégradés directement dans le sol. Les métaux qui se retrouvent dans les plantes sont quant à eux concentrés après ces traitements. On gère donc des kilos de végétaux contaminés, plutôt que des tonnes de terre! »  

En effet, pour traiter les sols contaminés, on utilise principalement l’excavation et l’enfouissement au Québec. Une équipe de professionnels creuse, met la terre dans des camions et va enfouir le tout ailleurs. Mais où et dans quelles conditions? La mauvaise gestion et le trafic de terres contaminées a déjà fait l'objet d'un scandale au Québec en 2019.

Mais alors que ces solutions mécaniques et physiques sont assez rapides et efficaces, surtout pour les petits sites, elles font toutefois baisser la fertilité et la productivité des sols, en plus de représenter des coûts généralement faramineux. De même, elles reportent généralement le problème à plus tard, puisqu’elles ne font que le déplacer. Les grands terrains sont plutôt laissés à l’abandon, compte tenu des coûts de traitement qu’ils représentent.

La phytoremédiation utilise des plantes pour décontaminer les sols, l’eau ou même l’air © Brett Jordan
La phytoremédiation utilise des plantes pour décontaminer les sols, l’eau ou même l’air 

Quels polluants contaminent les sols? Est-ce dangereux?

La présence de métaux lourds dans le sol est normale, et bénéfique aux plantes. C’est leur teneur qui pose problème: des sols contaminés peuvent contenir de fortes concentrations de métaux lourds, ce qui est toxique pour les organismes. Les sites pollués ne sont généralement pas contaminés d’une seule substance: on peut retrouver, sous différentes concentrations, des pesticides, du cuivre, du cadmium, du plomb, nickel, différents hydrocarbures et produits pétroliers, du cuivre, peintures, teintures, huiles et solvants ou même des explosifs…

Ces métaux lourds, proviennent d’anciennes industries ayant rejeté les polluants sur leur terrain d’exploitation, de l'exploitiation agricole, de stations-services, de sites d’enfouissement, etc.

Et un sol contaminé peut être synonyme de problèmes nombreux: détérioration et disparition de certains fonctions, pollution des eaux de surfaces et des eaux sous-terraines, perte de valeur commerciale, inutilisation de l’espace, fardeau visuel…

Avantages de la phytoremédiation

Avec la phytoremédiation, on traite le sol sur place, ce qui permet d’éviter de remuer et transporter des tonnes de terres contaminées et risquer de disperser le problème.

De plus, le procédé est plus écologique, son coût est moindre (jusqu’à dix fois moins élevé*), et le traitement est adapté à de nombreuses réalités de surface et de sol. Enfin, planter des végétaux qui dépolluent les sols limite l’érosion et ne nécessite pas d'excavation, que peu d'entretien. Peu d’impacts négatifs lui sont associés.

En considérant les avantages intrinsèques aux plantes et végétaux, on parle même d’avantages positifs sur l’environnement et la santé: réduction des îlots de chaleur, biodiversité, lutte aux changements climatiques…

*Selon E.Chevrier (2013) : « Les coûts liés à l’excavation, au transport et à l’enfouissement des sols contaminés sont faramineux. À des fins de comparaison, pour réhabiliter un site contaminé par les métaux, la phytoextraction coûte entre 15 et 40 $ par mètre cube de sol tandis que l’excavation en coûte environ 250-500 $ par m3. »

Des chercheurs de l'IRBV de l'Université de Montréal sur un terrain d'expérimentation de la phytoremédiation
Des chercheurs de l'IRBV de l'Université de Montréal sur un terrain d'expérimentation de la phytoremédiation © Université de Montréal

Pourquoi la phytoremédiation n'est-elle pas la norme?

Si les avantages sont si nombreux, pourquoi la phytoremédiation n’est-elle pas la norme? Pour Michel Labrecque, c’est une question de législation, de temps et de bénéfices, principalement : « Le traitement par phytoremédiation se fait partout dans le monde, et c’est une tendance de plus en plus acceptée. Mais ici, la technologie n’est pas encore acceptée par le Ministère de l’environnement, qui a besoin de preuves et données nombreuses qui démontrent son efficacité avant de l’appuyer. Ceci dit, ça pourrait bientôt changer à ce niveau, puisqu’on a plusieurs années d’essais qui appuient la technologie et permettent de plus en plus de prédire comment les sols et les plantes vont réagir ».

La phytoremédiation soulève un autre problème: très peu d’entreprises se sont lancées dans ce genre de service car il est très difficile de donner des garanties sur le temps et les résultats, d’une part. D’autre part, le processus est très peu rentable pour les entreprises. Michel Labrecque souligne que « c’est pour ces raisons qu’on reste pour le moment surtout dans le dig and dump, au Québec. C’est rapide, rentable et facile pour les entreprises de creuser et se débarrasser de la terre, et elles peuvent ainsi fournir des garanties ».

Quant à elle, « la phytoremédiation demande du suivi et de l’entretien, c’est long, et peu d’entreprises veulent se lancer là-dedans. On voit donc pour le moment plutôt des initiatives municipales et des essais sur des terrains privés abandonnés depuis des décennies, avec des associés universitaires », précise l'expert.

Inconvénients potentiels

  • Profondeur des zones atteintes. La phytoremédiation convient aux sites où la contamination n’est pas profonde – moins de 1.5 m de profondeur.
  • Niveau de contaminants. Les concentrations doivent être relativement faibles pour permettre aux plantes de croitre.
  • Risque pour la chaîne alimentaire. Si les plantes contaminées sont ingérées par des animaux.
  • Temps. Le processus n’est pas adapté pour décontaminer et restaurer un site rapidement. Il convient plutôt à des sites abandonnés, sans contrainte de temps à respecter. Par ailleurs, au Québec, il fait froid, et les saisons de croissance sont plus petites. Prévoir entre 5 à 10 ans selon la concentration, la zone contaminée, le type de plante utilisé et le sol.

Terrains résidentiels contaminés: la phytoremédiation n'est pas adaptée

Un réservoir de mazout qui fuit, une maison située sur un ancien dépotoir… Les propriétaires qui désirent planter des végétaux pour remédier au problème sont nombreux à vouloir en savoir plus. Mais comme le succès de cette technique dépend de la profondeur de la contamination, et qu’on est généralement limité dans le temps de traitement, un particulier devra plutôt s’en tenir à l’excavation pour le moment.

Les tournesols sont utilisés en phytoremédiation pour traiter les radioéléments
Les tournesols sont utilisés en phytoremédiation pour traiter les radioéléments © Marko Blazevic

Quelles sont les plantes utilisées en phytoremédiation?

La clé du choix réside surtout dans une bonne interaction entre les plantes, les micro-organismes et le sol. Selon le type de contamination et le sol, sont donc généralement utilisés des mélanges de plantes et végétaux à croissance différente.

Quelques exemples de plantes bénéfiques pour certains contaminants spécifiques:

  • De la moutarde pour nickel et le plomb
  • Des peupliers pour le cadmium et le zinc
  • Des tournesols pour les radioéléments
  • Des saules pour les hydrocarbures et les pesticides

Certaines plantes et végétaux possèdent des capacités d’accumulation et d’absorption très élevées, jusqu’à mille fois plus que les autres! Par exemple dans le cas du saule, la structure des racines fait en sorte qu'il absorbe bien les éléments comme l'azote et le phosphate. Sa plantation autour d'un champ où l'on se sert de lisier comme engrais permettrait au saule d'absorber l'azote et le phosphate plutôt que de les laisser s'échapper dans le sol. Cette plante peut même séquestrer de grandes quantités de gaz carbonique et enrichir les terres agricoles.

Pour Michel Labrecque, alors que les plantes poussent naturellement sur les terrains abandonnés, la phytoremédiation représente simplement une meilleure gestion de leur travail : « Si on ne fait rien, la plupart du temps des végétaux s’établissent déjà, les sols sont rarement assez contaminés pour nuire aux végétaux. En somme, la phyto c’est seulement de mieux gérer l’ensemble! ».

Dans tous les cas, on évitera les plantes envahissantes et on optera plutôt pour des espèces indigènes, adaptées au site et aux contaminants présents.

Avec sa croissance rapide, le saule est idéal pour accumuler les contaminants des sols
Avec sa croissance rapide, le saule est idéal pour accumuler les contaminants des sols

La phytoremédiation des sites contaminés, quelles techniques?

Pour dépolluer les sols, quatre formes principales de phytoremédiation sont possibles:

Pour les métaux lourds

  1. Phytostabilisation – Stabilisation des polluants tels que l’uranium et l’arsenic via la séquestration et l’immobilisation dans les racines, ce qui les empêche de remonter à la surface et de se volatiliser, ou de se disperser dans les zones plus profondes des sols.
  2. Phytoextraction – Prélèvement des polluants et métaux lourds dans les racines et accumulation dans les parties aériennes (tiges, et les feuilles).

Pour les composés organiques complexes

  1. Phytodégradation - Dégradation des contaminants organiques comme les pesticides via les enzymes pour les convertir en substances moins toxiques et les fixer dans la plante.
  2. Phytovolatilisation – Transformation des polluants tels que le mercure dans les enzymes des feuilles en éléments infiniment moins nocifs qui sont alors libérés dans l’atmosphère via la transpiration de la plate.

À chaque polluant sa stratégie!

Pour dépolluer les sols, quatre formes principales de phytoremédiation sont possibles
Pour dépolluer les sols, quatre formes principales de phytoremédiation sont possibles © cea.fr

Notez que pour faciliter la croissance des végétaux, des études sont présentement en cours sur les bactéries, algues et certains champignons. Des champignons vivants sur les racines de saules, par exemple, augmenterait la productivité!

Les eaux usées peuvent aussi être traitées par l’action combinée des plantes herbacées, du sol et des micro-organismes qui le composent. Le saule à croissance rapide par exemple, peut être utilisé pour les champs d’épuration ! Cette solution de traitement est à faible coût, elle ne nécessite aucun produit chimique en plus d’avoir la capacité de s’abreuver des eaux pleines d’azote, de phosphore, de contaminants et même de sel ! Les saules filtrants emmagasinent même du CO2 dans leur biomasse. 

On fait quoi avec la biomasse contaminée?

Comme la plante a accumulé des métaux pendant sa croissance, elle va les rejeter à l’endroit où elle meurt. Comment gère-t-on cette biomasse contaminée? Michel Labrecque nous renseigne : « On va retirer des branches annuellement, récolter la biomasse qui tombe au sol régulièrement. Elle est par la suite acheminée vers des sites d’incinérations, telles que les cimenteries, déjà bien équipées pour recueillir les contaminants inorganiques issus des combustions. Au Québec, on pourrait utiliser cette biomasse pour en faire de l’énergie, ou encore récupérer les métaux issus des incinérateurs pour les réutiliser, mais on en est pas encore là pour l’instant ».

Pour en savoir plus

Si vous avez un terrain contaminé, il existe plusieurs ressources pour vous aider :

  • La Société Québécoise de Phytotechnologies
  • L’Association Canadienne de Réhabilitation des Sites Dégradés – Chapitre Québec
  • Firmes d’éco-conseil ou de génie-conseil qui ont développer cette expertise

Des aides financières sont possibles pour réhabilité des terrains contaminés

  • Le programme ClimatSol Plus, financé pour le Fonds Vert
  • Le gouvernement du Québec

D’autres sujets connexes :

Des tests à l’étude au Québec

  • Phytotraitement de lixiviats générés par les lieux d’enfouissement techniques à Sainte-Sophie: le projet PhytoVaLix. Les saules seront par ailleurs utilisés, en plus de leur rôle décontaminant, comme murs anti-bruit.

  • Traitement de sédiments dragués au port de Montréal
  • Utilisation de la phytoremédiation pour réhabiliter d’anciens sites industriels de l’est de Montréal, projet conduit par l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l'Université de Montréal, en étroite collaboration des gestionnaires et des citoyens de l’arrondissement Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles.

  • Parc d’entreprises de la Pointe-Saint-Charles
  • Décontamination de terres près d’une fonderie à Montréal
  • Traitement tertiaire des eaux usées à Saint-Roch-de-l’Achigan
  • Décontamination du ruissellement dans une usine de cogénération à Chapais
  • Réhabilitation du parc minier Opémiska à Chapais

Sources

  • Saules dépollueurs, La Presse, 2019
  • Phytoremédiation : comment les plantes dépolluent-elles les sols ?, Futura Planète
  • La phytoremédiation, une solution d’avenir pour le Québec, E. Chavrier, 2013
  • La phytoremédiation, Société québécoise de Phytotechnologie